Citations sur La vérite sur ''Ils étaient dix'' (La vérité sur ''Dix petits.. (26)
Elle est entachée d'invraisemblances si graves qu'il est difficile de comprendre comment elle a pu passer pendant si longtemps pour une version plausible de ce qui s'est produit sur l'ile, ce qui en dit long quant à la capacité de l'être humain à s'illusionner.
(p.19)
Cette nécessité de structurer notre perception du monde selon des récits concerne notre vie privée comme notre vie en société. Une collectivité ne peut pas vivre sans une représentation organisée aussi bien de son histoire que de son destin. Et cette représentation est évidemment largement légendaire, à la fois parce qu'elle idéalise les événements passés et parce qu'elle accroît après coup la cohérence qui les unit.
Parmi tous ces biais, celui qui me paraît de loin le plus important est le biais narratif, qui nous protège de la complexité de la vie.
Qu'une solution aussi invraisemblable que celle retenue par Agatha Christie ait pu convaincre autant de lecteurs pendant une si longue période pose de nombreuses questions. Elle conduit en particulier à se demander pourquoi l'être humain est souvent conduit à s'aveugler lui-même, et elle peut à ce titre être riche de leçons pour tous, bien au-delà de cette histoire singulière.
L'île n'est donc pas dès le départ un lieu hermétiquement clos. Elle le devient au cours du roman, comme une pièce qui se refermerait progressivement sur ses occupants. C'est cette tempête et non l'île qui enferme les petits nègres et les condamne à mort.
Sans être moi-même spécialiste de littérature, je me demande d'ailleurs dans quelle mesure une île ne pourrait pas être pensée comme une métaphore de l’œuvre littéraire. Monde alternatif aux lois autres, elle fait face au continent comme une création mystérieuse qui la redouble et exerce comme l’œuvre une forme de fascination. (p.128)
Voir, ce n'est pas seulement regarder avec les yeux, c'est projeter dans le même temps sur le monde tout un maillage de connaissances préalables qui oriente notre vision. (p.114)
Comment croire quelqu’un qui ment ?
L'île n'est donc pas dès le départ un lieu hermétiquement clos. Elle le devient au cours du roman, comme une pièce qui se refermerait progressivement sur ses occupants. C'est cette tempête et non l'île qui enferme les petits nègres et les condamne à mort. Et surgit alors la question qui ne semble pas avoir taraudé aucun des lecteurs du roman depuis sa parution : comment l'assassin pouvait-il prévoir qu'il y aurait une tempête ?
Car nous sommes avant tout des êtres de récit, qui ne pouvons penser le monde qu'à travers des catégories narratives où nos vies sont organisées en destins. Avec comme décor une île mystérieuse et comme rengaine affichée sur les murs une chanson de nourrice, j'aurais pu faire adhérer mes victimes à n'importe quelle légende, pourvu qu'elle leur donnât l'illusion qu'ils étaient les héros malheureux d'une tragédie maléfique.