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Critique de enjie77


Il existe des rencontres qui marquent une vie de lectrice. J'apparente cette expérience au coup de foudre, ce sentiment immédiat, à l'inattendu qui surgit dès les premières lignes d'un roman. Ce sont des instants émotionnels rares mais inoubliables, des instants que j'ai vécu en découvrant Proust, Bounine, Simon, Zweig et aujourd'hui René Bazin.

René Bazin est le grand-oncle d'Hervé Bazin, l'auteur de Vipère au poing. Elu à l'Académie Française en 1903, plusieurs fois couronné par cette dernière, il connaît un succès grandissant en publiant surtout des romans mais aussi des récits de voyage. Il devient l'un des auteurs les plus lus de sa génération et connait la gloire jusqu'à l'international, Après la Libération, les aspirations des lecteurs changent avec le monde de l'après guerre, il connaît petit à petit la mise au placard.

René Bazin est né le 26 décembre 1853 à Angers. Juriste de formation, professeur de droit criminel en 1882 à la faculté catholique d'Angers, il glisse par la suite, vers le milieu journalistique local, tremplin qui l'amène à suivre des expéditions vers des terres lointaines d'où sont tirés ses récits de voyages qui lui procurent une grande notoriété. Il a dans ses relations des personnalités alsaciennes qui lui parlent du drame que vit l'Alsace. Poussé par la passion de la découverte, il se rend en Alsace. Fin observateur, son séjour va lui inspirer Les Oberlé. Ce roman lui ouvre les portes de l'Académie. Il est considéré comme son chef d'oeuvre.

La famille Oberlé réside dans le village imaginaire d'Alsheim, situé dans les Vosges, pas très loin d'Obernai. Nous sommes fin du 19ème siècle, peut-être début du 20ème. La guerre de 1870 est passée par là avec son humiliante défaite et l'Alsace est passée sous domination allemande. le grand-père Philippe Oberlé, le patriarche, a fondé l'entreprise forestière florissante Oberlé. Grand opposant à la germanisation de l'Alsace, il est nommé député protestataire au Reichstag, à Berlin. Très absorbé par ses fonctions, il laisse les rênes de l'entreprise à son fils Joseph Oberlé qui va tenter, pendant dix ans, de suivre les consignes de son père. le temps aidant, Joseph estime qu'il faut vivre avec son époque. Il va donner de plus en plus de gages de sa loyauté à l'Allemagne. Il va jusqu'à licencier les ouvriers français qui refusent de travailler sur les commandes destinées aux allemands. En lieu et place, Il embauche des ouvriers allemands. Toutes ces garanties lui ouvriront les portes de la députation avec le soutien du préfet de Strasbourg.
Considéré comme un renégat par tout le village et ses alentours, il n'a de cesse de se justifier auprès de son épouse, Monique. Elle est, elle-même, fermement opposée à la domination allemande et est, en cela, un grand soutien pour son beau-père. Quant à l'aïeul, trahit par son propre fils, diminué par l'âge, la maladie, il n'est plus qu'une une ombre qui ne dit plus mot et se désespère de voir ce que sa maison est devenue.
Monique et Joseph Oberlé ont deux enfants, Lucienne qui est l'alliée et la confidente de son père avec qui elle partage les mêmes intérêts, les mêmes objectifs.

Et il y a Jean Oberlé, le fils, de retour à Alsheim, Jean a fait ses études de droit à Berlin. Il revient avec l'idée de reprendre l'exploitation forestière. Il a eu le temps de se forger sa propre opinion et il est avant tout un Alsacien, très attaché à ses racines, fier de son pays qui est et reste la France.

Il faut lire et se représenter le premier repas de famille qui se tient au retour de Jean. La tension est palpable, elle se dégage de l'écriture tant l'auteur sait peindre les divergences, le malaise qui règne autour de la table, le pauvre Philippe Oberlé qui n'est plus qu'une ombre, réduit à écrire maladroitement sur une ardoise, Madame Oberlé qui se tait mais qui n'en pense pas moins, totalement écrasée par son mari, Lucienne qui se demande comment apprivoiser son frère et Jean qui découvre une famille déchirée. C'est saisissant de réalisme !

L'auteur fait preuve d'une grande empathie avec ses personnages, de sa prose se dégage son acuité sensorielle qu'il sait nous communiquer pour mieux nous entraîner dans cette atmosphère délétère.

Chaque personnage joue sa partition, jour après jour, avec ses convictions, s'opposant les uns aux autres jusqu'à ce que l'amour vienne compliquer et accentuer un peu plus l'aspect dramatique de la situation. Les regards s'affrontent, se déchirent entre les Alsaciens pro- français, les Alsaciens opportunistes et les Allemands, une peinture tout à fait réaliste de cette Alsace blessée. Pour bien saisir l'essence même de ce conflit, les passions exacerbées, il est important de se reporter à la défaite de 1870 et de replacer le roman dans cette période qui annonce 14/18.

Je ne saurais expliquer pourquoi mais « le silence de la mer » de Vercors (seconde guerre mondiale) est venu s'imposer à moi.

Dès les premières lignes, j'ai éprouvé un immense plaisir de découvrir l'écriture de René Bazin. Il possède ce style si élégant de cette fin de siècle que j'apprécie chez Flaubert et Maupassant ; une syntaxe impeccable qui rend la lecture fluide et qui donne une compréhension immédiate, une richesse du vocabulaire, une précision dans les détails, une analyse psychologique d'une grande finesse à la Zweig. J'ai été subjuguée par la façon dont les personnalités, les états d'âme sont parfaitement dessinés, disséqués, y compris pour les personnes du voisinage. Nonobstant la beauté du style, ce récit prend valeur de témoignage. le roman s'inscrit bien dans l'atmosphère de l'époque, il décrit magistralement, avec toutes les nuances nécessaires, l'Alsace sous l'occupation allemande au début du 20ème siècle.
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