Même quand sa beauté s’est étiolée, sa maîtrise de l’art de l’écoute et de la conversation polie a gardé sa valeur.
J’étais soulagée d’apprendre que les hôtesses n’étaient pas des prostituées, même si d’aucuns les considéraient comme telles. Peut-être sa carrière était-elle la cause de sa rupture avec sa famille, ou bien elle avait trouvé son boulot après sa chute. Il lui arrivait de sortir avec certains clients et, parfois, elle ne rentrait pas coucher. Je suspectais qu’elle désirait quelques-uns de ses prétendants. Les cadeaux s’accumulaient : manteaux de fourrure, bijoux, chocolats et parfums.
« Si nous voulons créer du changement, il nous faut changer ceux qui sont au pouvoir. Ce sont les hommes qui détiennent le pouvoir. Nous ne devons pas les marginaliser… »
Ça devait être douloureux. Je le voyais chez les gens. Je l’avais ressenti moi-même. Quelle autre raison aurait un homme qui rentre du Viêt-Nam, passe des décennies à bâtir des entreprises et à les vendre, épouse une gentille femme et a quatre filles, alors qu’il est à l’heure de prendre sa retraite, de faire ses bagages pour retourner dans une zone de guerre ?
On ignore où on s’en va et on ne sait pas pourquoi on fait ce qu’on fait. La moitié d’entre nous affirme qu’on doit reprendre ce que nous avons perdu, et l’autre moitié dit qu’il nous faut l’oublier et continuer d’avancer, mais aucune de ces options n’est valable. Je ne sais pas me servir d’un fusil, alors je me suis dit que je ferais aussi bien d’instruire le plus de jeunes possible. »
Les talibans revendiquaient habituellement la responsabilité des morts d’étrangers, mais les cibles de la voiture piégée et l’école elle-même étaient sans importance — insignifiantes à l’échelle de la guerre.
En état de choc, mon cerveau était devenu moins un organe doué de pensée qu’une machine enregistreuse.
On arrivait rarement à élucider tout à fait les morts d’étrangers. Ils avaient été pris dans les rouages de la guerre, de vastes machinations historiques, des intrigues ourdies dans les Régions tribales fédéralement administrées et financées par Islamabad ou Riyad, ou encore dans des luttes de pouvoir entre Kaboul et Kandahar, entre l’Afghanistan et les États-Unis — un cercle vicieux de politiciens, généraux, hommes d’affaires, caïds de guerre, rois de l’opium et diplomates éphémères. Ils se trouvaient par hasard près d’un personnage important, ou bien ils étaient ciblés directement, lors d’attentats contre la machine coloniale d’occupation. Même les journalistes étaient menacés, parce qu’ils publiaient de la propagande — des articles que les talibans haïssaient et adoraient — sur de braves Afghans prêts à tout risquer pour s’occidentaliser : des athlètes, des musiciens, des acteurs et, par-dessus tout, des femmes.