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Critique de karmax211


“Une nymphomane est une femme aussi obsédée par le sexe que l'homme moyen.”
Ces mots légers et plutôt souriants de Mignon McLaughlin pour donner d'emblée le ton de cette présentation du livre d'Emma Becker, présentation qui me pose plus d'une question et m'oblige à reconnaître que le nombre de mes réponses est si maigre et si enclin à un doute insistant qu'il est préférable de pas m'avancer masqué et de ne surtout pas chercher à faire le malin.
Lorsque cette jeune femme m'est apparue pour la première fois dans l'émission de François Busnel, La Grande Librairie, je me suis dit, mon sexe étant devenu à cet instant mon premier organe préféré avant mon cerveau : " encore une qui, sous l'alibi littéraire, vient nous raconter la énième histoire de c.., dont, je le reconnais, j'ai été un lecteur fidèle à ces prédécesseures depuis au moins cinquante ans..."
J'eus dès lors comme résolution de faire l'impasse sur ce nouvel exhibitionnisme en lice pour des prix littéraires... souvent, on nous fait le coup ; ça fait grimper les ventes et l'audimat des émissions de télé qui aiment s'encanailler et augmenter dans le même temps les tarifs de leurs publicités.
Son livre au final n'a obtenu que des prix réputés mineurs, dont celui du roman des étudiants, de France Culture, le prix Blù-Jean-Marc-Roberts et celui du Roman News... Mais il ne faut pas trop se fier à ce qui ressemble surtout à de mauvaises réputations !
J'ai laissé passer du temps et j'ai été l'un des nombreux téléspectateurs et auditeurs de quelques-unes de ses prestations télévisées et radiophoniques.
J'ai trouvé la demoiselle alerte, vive, intelligente et cultivée.
Alors je me suis dit... pourquoi pas ?
J'ai franchi le pas et je me suis retrouvé au bordel à Berlin.
Car, ce n'est un scoop pour personne : Emma Becker a travaillé, oui travaillé comme travaille n'importe quel travailleur du sexe dans un pays où cette activité n'est pas criminalisée, pendant deux ans et demi dans deux bordels berlinois : le Manège, où elle a officié quinze jours avant de prendre la poudre ( non, pas la coke... !) d'escampette et La Maison, où elle est restée deux ans et demi... c'est-à-dire jusqu'à la fermeture définitive de l'établissement et conjointement le début de sa grossesse.
De cette expérience et de ce travail, elle a fait un livre, sorte d'enquête journalistique, sociologique, anthropologique, psychologique et accessoirement ouvrage littéraire, dans lequel se mêlent de manière non linéaire, des anecdotes vécues par elles, ses compagnes de travail, l'encadrement des maisons, et les clients.
Si une part non négligeable du livre s'accorde à raconter l'épisode du Manège, le type même du bordel infréquentable... les patrons sont des Albanais plus ou moins maquereaux, plus ou moins trafiquants de drogue, plus ou moins mafieux, force est de constater que l'essentiel de l'ouvrage est centré sur La Maison, sacré bordel ou bordel sacré, havre de tolérance, de bienveillance, ilot d'humanité, d'amitié et de civilité, subsistant au milieu de l'asphalte jungle et des maisons closes où le maître mot est l'abattage, la rentabilité minutée à la seconde près.
La Maison nous est donc présentée comme ce qui devrait être l'idéal rêvé par les travailleurs du sexe. Idéal pour les conditions de travail que permet cet établissement, et idéal de vie au travail ; les cinquante ou soixante "pensionnaires", ces filles dites publiques, deviennent en ce lieu privé des camarades, des amies.
C'est un hymne à la sororité et à la famille recomposée.
Il y a dans le livre de Justine-Emma Becker le côté sombre de cette activité et un côté plus humain, le bordel du XIXème siècle débarrassé des craintes des maladies vénériennes et où les putes sont des travailleuses indépendantes en butte aux mêmes tracas du quotidien que les femmes dites "respectables"... pas plus, pas moins.
Je ne connaissais donc pas l'auteure avant - La Maison -, qui est son troisième livre ; le premier - Mr - aborde le thème de l'emprise érotique et passionnelle de sa protagoniste amoureuse pendant plus d'un an d'un chirurgien ami de ses parents et de son oncle... le second - Alice - " traite de la difficulté à s'extraire d'une relation d'amour étouffante avec des parents post-soixante-huitards envahissants, tout en analysant son propre rapport aux hommes, à travers la relation contrariée entretenue avec un amant de vingt ans son aîné."
Pas besoin d'être un grand "déducteur" pour comprendre qu'Emma Becker a centré son travail d'écrivaine sur la thématique de la mécanique du désir des femmes... et des hommes.
Où cela la mènera-t-il ? Trop tôt pour le dire.
Je dois admettre que - La Maison - est un livre que la plume fluide de l'auteure sait rendre attractif, facile et intéressant à lire ; sa nuit de défonce et de paranoïa au Manège, la scène du parc où Hildie jouit comme jamais, l'heure de cours d'éducation sexuelle donnée à un avocat et la mallette magique de Gerd sont parmi les chapitres les plus "intenses" et souvent jubilatoires de cette enquête qui, tout en voulant ne pas en être une, nous révèle bien des choses ignorées sur la condition humaine... c'est à dire sur vous et moi.
Je tiens à ajouter qu'il m'importe peu qu'Emma Becker aime le sexe ; on ne juge pas une femme sur la vie débridée de ses hormones et de ses neurones.
Je n'ai pas, me semble-t-il à juger non plus son tabagisme, son rapport aux stups à l'aune de mes totems et de mes tabous. Ou alors il me faut dès maintenant vider les trois quarts de ma bibliothèque... ce que je ne ferai pas ; je ne voudrais pour rien au monde me priver de Baudelaire, De Balzac, de Gautier, de Dumas, De Maupassant, d'Apollinaire, de Jules Verne, de Cocteau, de Radiguet et autres artistes addicts.
Par ailleurs, en ce dimanche de Pâques, je vous invite à songer qu'il serait sacrilège de ne pas "goûter au fruit d'Ève fendu".
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