Justine est partie vivre deux ans à
Berlin, vivre une vie de prostituée et d'écrivaine, attirée par les mécanismes et la beauté du désir, aimantée par les ambiances capiteuses et les maisons closes, fascinée d'abord par les femmes qui choisissent le métier du plaisir et du don de soi. D'abord au Manège, maison tenue de main ferme, elle observe ses camarades, tente toujours de les comprendre, mais fuit quand la peur devient trop forte et le bénéfice insuffisant au regard du risque et de l'irrespect. C'est alors qu'elle entame une période au sein de
la Maison, et ne la quittera avec regrets qu'à sa fermeture.
Ce roman est impressionnant de sincérité, de vie et de passion. Il réussit là sa mission :
Emma Becker donne ses mots à ses consoeurs qui oeuvrent dans l'ombre, dans la nuit souvent, dans l'indifférence méprisante généralement.
Sans concessions elle écrit ses expériences, elle décrit les filles avec l'humanité de son regard, en relatant de façon fine ce qui lui a été raconté. Ce n'est pas un livre sur le ton d'un documentaire en immersion, ou vis ma vie de .... C'est beaucoup plus subtil, beaucoup plus tranchant, beaucoup plus rageux aussi. Il y a les hommes qu'on tolère, ceux qu'on oublie, ceux qu'on évite, ceux qu'on craint, ceux qui nous touchent. Elle règle aussi ses comptes avec certains, parce que l'empathie, la modestie, le respect et l'hygiène ne sont des valeurs universelles chez les clients. Mais il y a les femmes, leur force et leur liberté conquise de façon anti-conformiste. Et cela suffit à la motiver pour revenir, pour continuer à écrire, pour s'émerveiller.
Beaucoup de sororité, de bienveillance féminine, l'envie de continuer à décrier le trafic humain, la prostitution de rue par les réseaux, mais d'ouvrir les yeux et appeler à la tolérance pour les maisons closes qui pour certaines d'entre elles offrent des conditions de travail décentes pour des femmes qui s'y rendent par choix, libres d'y rester de longues heures ou non, soutenues face à des comportements abjects, en sécurité, où elles peuvent considérer les autres filles comme des collègues et non des rivales.
La Maison surprend par son courage, sa mise-à-nu, la richesse de ses réflexions.
Petit bémol parfois sur la forme, les propos se précipitent, la structure de l'ouvrage parfois en pâtit avec quelques inégalités dans les chapitres. Mais il résonne, résonnera longtemps en moi, et je reste admirative.
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