Il est tellement plus facile pour une femme de trouver l’occasion de faire l’amour que pour un homme. Mais, par compensation pourrait-on dire, la nature l’avait dotée d’un sentiment excessif de pudeur, non de pudeur physique, mais de pudeur morale. Tous ces hommes disponibles, et si peu d’élus ! Depuis la séparation, pas une main n’avait caressé Coralie. Elle n’avait jamais osé franchir le pas, comme si cette facilité à le faire contrariait son orgueil. Et puis, se laisser si aisément étreindre, n’était-ce pas, d’une certaine façon, donner raison à Benjamin, qui lui avait jeté à la figure, comme s’il se dédouanait : « Tu trouveras bien un mec pour te tenir compagnie. » Solange se doutait que quelque chose, dans le cœur de Coralie, était cassé. Elles le savaient toutes les deux, mais cela ne les empêchait nullement d’évoquer les « mecs » sur le ton de la plaisanterie. Bien sûr, pour Solange, qui était mariée depuis trois ans, les parties de rire sonnaient différemment, même si elle laissait entendre qu’une aventure, de temps en temps, ne devait pas faire de mal, voire devait contribuer à solidifier le couple. Histoire de se donner bonne conscience…
Je n’aurais jamais imaginé qu’un prêtre pouvait recevoir tant de courrier et avoir un emploi du temps si chargé ! Entre les demandes pour les baptêmes, les mariages, les funérailles, les circulaires de l’évêché, les heures consacrées aux chapelles dans les écoles catholiques, les messes le week-end – jusqu’à quatre ! –, les réunions diocésaines, les confessions, les déclarations d’amour de mémés… Vous saviez que les mariages et les baptêmes peuvent être retransmis par webcam, pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer ou pour les parents qui habitent à l’autre bout du monde ? Et encore ! Apparemment, Darbin avait de la chance de ne devoir s’occuper que d’une paroisse. Je suis tombé sur la lettre d’un de ses collègues en campagne qui lui écrivait en se plaignant « trente clochers ! Trop, c’est trop ! ».
Elle passa mentalement en revue ses robes, se demandant laquelle était la plus appropriée, elle aurait dû lui demander la couleur qu’il préférait. Et puis non, elle se serait découverte (façon de parler en l’occurrence), il fallait qu’il la conquière, mot après mot, attention après attention. Elle alluma le couloir. Elle souriait toute seule en se dirigeant vers son appartement. Quand elle eut introduit la clef dans la serrure, et qu’elle l’eut tournée une fois, l’expression de son visage changea. Elle plongea la main sous son aisselle et dégagea son arme du holster. Son cœur s’emballa. Coralie Chevallier fermait toujours à double tour, et la porte avait cédé au premier claquement du pêne !
Apollinaire Salvyen avait le visage fermé. N’eussent été les rides accusées de son front, ses paupières plissées, son regard fixe qui ne voyait sûrement rien, Coralie eût tenu son comportement pour une bouderie de gosse. C’était plus sérieux. Elle se demandait s’il regrettait de s’être laissé emporter ou s’il était encore sous le choc de la violence de Freddy Davenport à l’égard de sa fiancée. Elle voulut détendre l’atmosphère en lui relatant les derniers mots de Pascale Revonsart, n’oubliant pas une fois de plus de rappeler qu’on n’avait aucun nouvel indice concernant le louis d’or.
Dire qu’il lui arrivait de penser qu’elle était toujours une belle femme, attirante, avec son visage fin, son mètre soixante-quinze et sa taille de guêpe ! Elle en voulait à Salvyen de jeter le doute dans son esprit, de ne pas se rendre compte du mal qu’il lui faisait, avec ses paroles blessantes, qui vantaient les attraits érotiques de la bonne. Elle avait beau se répéter qu’il n’y avait pas que le sexe dans la vie… Et qu’Ana-Maria de Villota Cortès avait la jeunesse pour elle, cela ne la calmait pas. Alors, elle se mit à penser à son mari…
À poings fermés - Jean-Claude Belfiore - LTL # 151