Le sens des mots compte, évidemment, pour définir ce qu’est le langage, mais pas isolément. Sa fonction sémiotique sert aussi de support à la manifestation éventuelle d’une ressemblance non sensible – laquelle se produit chaque fois en un éclair, « comme une illumination instantanée ».
La science établit certes un lien entre le langage et nos capacités d’imitation, mais elle le fait en leur supposant un rapport de ressemblance sensible. Considérer que le langage trouve son origine dans l’onomatopée, c’est faire comme s’il n’était qu’un système conventionnel de signes. (On retrouve ici le regret formulé en 1916 d’une « conception bourgeoise du langage ».)
« Sur le langage… » oppose une fonction pratique du langage (celle qui permet de communiquer quelque chose à quelqu’un – « J’ai aimé ce livre », par exemple) à une fonction plus profonde, de révélation de l’essence de l’homme (en parlant, quoi que je dise, je révèle à Dieu ce que je suis). Le mot de « pureté », qu’on retrouvera pleinement déployé par la suite dans « La tâche du traducteur
», fixe alors déjà l’idéal de Benjamin pour le langage ; il apparaît, en comptant ses dérivés, à plus de quinze reprises dans le texte. Dans une lettre célèbre adressée la même année à Martin Buber, jeune directeur d’une revue d’études juives, Benjamin expose ainsi clairement son idée : « Si variées que soient les formes selon lesquelles le langage peut se montrer efficace, il ne l’est pas en communi[qu]ant des contenus, mais en produisant au jour de la manière la plus limpide sa dignité et son essence. »
L’objectif est dès lors « d’éliminer l’indicible de notre langage jusqu’à le rendre pur comme un cristal ».
Déterminer le noyau philosophique des articles sur le langage consistera dès lors à repérer comment s’unissent – quand ils s’unissent – leur ordre spirituel et leur ordre sensible, pour en inférer leur teneur de vérité.
Après avoir fait les beaux jours des cabinets de recrutement dans les années 1990 et 2000, la graphologie est aujourd’hui devenue une pratique de plus en plus contestée, quasiment au même titre que la phrénologie du XIXe siècle ou, plus récemment, l’homéopathie. Elle a pourtant mobilisé des esprits parmi les plus brillants durant des décennies, en partant du principe que les lettres tracées par la main d’un homme lorsqu’il écrit révèlent, à qui sait en interpréter les formes, les traits marquants de sa personnalité.
« Dès que l’homme use du langage pour établir une relation vivante avec lui-même ou avec ses semblables, le langage n’est plus un instrument, n’est plus un moyen ; il est une manifestation, une révélation de notre essence la plus intime et du lien psychologique qui nous lie à nous-mêmes et à nos semblables . »