J'ai eu du mal à venir à bout de ce pavé de 680 pages.
La qualité d'écriture avait baissé dans le deuxième tome. Ici elle s'effondre.
Les 80 dernières pages sont les plus soignées. Si j'avais su, je m'en serais contenté, car en relatant la dernière bataille, elles forment une unité cohérente et concluent la trilogie. Certes, il m'aurait manqué les bribes d'explications disséminées dans les 600 pages qui précèdent, mais compte tenu de l'effort à fournir...
Dans ce dernier tome, l'auteur reprend à la lettre la structure narrative et les mécanismes des deux premiers : trois épisodes d'infiltration en territoire ennemi. Et, jamais deux sans trois, l'action débute sans prévenir (une des forces de l'auteur, quoique cette fois-ci, on est un peu perdu au début car huit ans ont passé, ce qu'on n'apprend que plus tard).
Infiltration, repli, infiltration, repli, infiltration.
Pourquoi est-ce si long ? Certes les scènes d'action sont épiques, riches et variées. Toujours est-il, les pages n'en finissent pas de défiler et le texte de s'étirer. Les dialogues en sont la principale raison. du début à la fin, on a cette clique de personnages qui ne cesse de bouger, subir, agir, réfléchir et... parler.
J'avais déjà remarqué cette tendance dans les précédents tomes. Les personnages n'en finissent pas de commenter, reformuler, se plaindre, jurer, prier. Dans ce tome, ce défaut est particulièrement visible. Pour couronner le tout, les protagonistes ont maintenant la faculté de partager leurs pensées et leurs visions, même à distance ! Et là on tombe dans le piège classique de ce genre de pouvoir : il n'y a plus la limite aux échanges verbaux qu'imposent normalement la distance ou les situations contraignantes. Pour les dialogues, c'est une vraie boite de pandore que l'auteur, avec son style, s'est empressé d'ouvrir et d'user sans retenue. Concrètement, on en vient rapidement à faire abstraction de qui est où, qui fait quoi, puisque tous ont la même connaissance et que les dialogues sont incessants.
Je passe en revue les autres points qui m'ont déplu :
Je trouve la caractérisation des personnages humains très pauvre. Sancia et Bérénice s'en sortaient le mieux, mais le retrait de Sancia dans ce tome et l'évolution de Bérénice (brouillant les repères qu'on avait) n'aide malheureusement pas.
Globalement, les personnages sont caractérisés par leur façon de parler, or celle-ci devient très uniforme dans ce tome. le résultat est sans comparaison avec d'autres auteurs américains qui donnent vie à leurs personnages par leurs actes (
McDowell) ou par leur passé (
McCammon).
L'attitude de Sancia vis-à-vis de Crasedes parait incompréhensible. Quoi qu'il ait pu faire par le passé, Crasedes n'a clairement pas un rôle de méchant dans ce troisième tome (ce n'était déjà pas le cas dans le second, même si l'auteur cherchait à entretenir le doute tout au long). Il a tout d'abord un rôle de victime, puis de héros. Son aide, autant par ses connaissances que par ses pouvoirs, et finalement son action héroïque, se révèle indispensable à la réussite du groupe.
Et pourtant Sancia n'a de cesse de l'insulter. Un comportement puéril qui la discrédite d'autant qu'en face, Crasedes affiche un flegme et une courtoisie sans failles.
La centaine de « Oh mon Dieu », de « Oh, Seigneur », de « non, non, non ».
Le langage vulgaire de Sancia, qui semble avoir contaminé toute l'équipe.
L'insistance à créer des situations où les héroïnes se retrouvent dans l'urine, le vomi ou la merde.
Tout ça, avec les dialogues incessants, donne une coloration trop Young Adult pour moi.
Dans ce dernier tome, on assiste à une surenchère :
- de la représentativité des femmes (exit Orso et Gregor, on suit maintenant une équipe 100% féminine avec Sancia, Berenice, Polina, Claudia et Diela).
- du transhumanisme.
- du iel, dont les usages possibles semblent faire l'objet d'une quête en soi.
Cette soudaine inflexion donne malheureusement trop l'impression d'une volonté de cocher des cases, ce qui ternit au passage le choix de donner la vedette à un couple lesbien.
À part les développements sur le transhumanisme, rien de bien nouveau concernant les enluminures. J'aurais apprécié plus de précisions sur les trois personnages non humains, ou sur la porte vers l' « ailleurs ».
Et puis, toujours le même constat de pauvreté de l'univers géographique. Ici, les îles givannes paraissent bien elliptiques. Je crois qu'on y descend jamais.
Ce que j'ai aimé :
Crasedes, visiblement inspiré de Magneto (même façon de parler, même façon de se battre).
La bataille d'ouverture, avec l'armée de Tevanne qui évoque celle des Marcheurs blancs dans le Trône de Fer.
Les scènes d'action, très visuelles, se lisent avec plaisir, même si je n'ai pas retrouvé la qualité du premier tome sur ce plan-là.
L'intrigue principale trouve son explication dans le passé des personnages non humains. Cet aspect est très bien creusé et restitué, même si je regrette que les révélations se noient dans les pages (au point que je les oubliais petit à petit).
L'idée de faire vieillir Sancia plus vite que sa partenaire rend enfin intéressante une relation jusque là trop mielleuse et convenue.
Enfin, les 80 dernières pages sont de très bonne facture.