Trois ans après leurs exploits du premier roman de la trilogie des Maîtres enlumineurs, Sancia et ses associés s'apprêtent à bouleverser (à nouveau) le monde de l'enluminure. Leur but : offrir au plus grand nombre des secrets conservés par les quatre grandes maisons. Ils ont donc mis au point un plan original et dangereux à souhait.
Pas le temps de souffler dans ces premières pages du Retour du hiérophante. Comme dans les films de James Bond, l'histoire commence par un morceau de bravoure, une bonne grosse scène d'action, avec cascades vertigineuses et enjeux décapants. Et ma foi, cela fonctionne bien.
Robert Jackson Bennett nous replonge immédiatement dans son monde fait d'enluminures et d'objets aux consignes précises. Il nous permet de reprendre contact avec ses personnages : l'ancienne voleuse Sancia, qui peut lire les enluminures grâce à la plaque qu'on lui a insérée dans la tête ; son amoureuse, la brillante enlumineuse Bérénice, aux intuitions vives et puissantes ; Orso, l'enlumineur « maître » de Bérénice, plus ou moins à l'origine de la future révolution ; Gregor, l'ancien soldat rendu berzerk par l'adjonction, lui aussi, d'une plaque enluminée capable de le ramener à la vie (mais à quel prix ?). Cette petite bande s'est mise en tête de récupérer les secrets de l'une des grandes familles pour les mettre à disposition de tous les enlumineurs autonomes, qui, depuis la mise hors service de la Montagne, se sont multipliés. L'heure est à la révolte, à l'émancipation, loin de la tutelle forte et égoïste des enlumineurs établis.
Mais rapidement, cette révolution va passer au second plan, suite au retour du hiérophante (en voilà un titre qui correspond parfaitement à l'histoire du roman !). Rappelons que cet être, dont le nom est composé, entre autres, du grec « hiéros », qui signifie « sacré », est une sorte de dieu chez les enlumineurs. Un ancêtre capable de manier cette science au plus haut degré. Ils étaient censés avoir disparu depuis longtemps. Mais l'un d'entre eux, et pas le moindre, puisque ce serait Crasedes Magnus, le premier des hiérophantes, revient à bord d'un navire. Rapidement, on va comprendre qu'il n'est pas là seulement pour se promener dans les rues de la ville de Tevanne et faire du shopping. Il a un dessein, gigantesque, aux conséquences terribles pour les habitants de la cité. Sancia et sa clique vont, bien évidemment, se trouver sur son chemin. Mais elle ne sera pas seule. L'aide viendra de son cher « Clef », qu'on avait abandonné dans un sale état à la fin des Maîtres enlumineurs. Et de Valeria, l'être « magique », qui elle aussi était bien diminuée.
Et l'affrontement entre ces forces va devenir épique. Digne, d'une certaine manière, des kaijū eiga, ces films japonais mettant en scène des monstres formidables, usant de pouvoirs phénoménaux et causant des dégâts considérables parmi la population humaine. C'est un peu ce à quoi on assiste pendant une bonne partie du roman. Et c'est un peu le reproche que je pourrais faire à ce récit. Il me rappelle certains films d'action qui comportent une grande idée, étirée pendant toute la durée du film. Ici,
Robert Jackson Bennett apporte de nouvelles dimensions, surtout sur la fin. Mais le milieu de son roman patine un peu, à mon goût et se montre trop prévisible. Je n'ai rien contre un bon affrontement entre méchants/gentils, mais celui-ci m'a paru un tantinet trop long.
Mais je n'ai pas boudé mon plaisir, car l'auteur américain a su, une fois de plus, en bon conteur, m'attacher aux personnages et me faire sentir inquiet au fur et à mesure de leurs aventures, de leurs mises en danger (définitives pour certains, hélas !), de leurs coups d'éclat, de leurs désillusions, de leurs inquiétudes. Mais aussi et surtout de leurs transformations. Car, une réussite de ce récit est justement, à mon goût, le sort réservé à certains. Attention, spoiler, d'où une couleur plus pâle afin de vous éviter une lecture imprévue de quelque chose que vous préférez découvrir par vous-mêmes. Sancia et Bérénice doivent fusionner, d'une certaine manière, afin de découvrir et pouvoir mémoriser certaines formules d'enluminure. Et cette fusion, qui va durer, donne naissance à un être aux réactions, aux sensations différentes et, ô combien, intéressantes. Et ce, d'autant plus, quand un autre personnage va intégrer le duo. Les réflexions sur l'individu, sans être d'une haute portée philosophique (on n'a pas le temps pour cela tant l'action prédomine), sont suffisamment riches pour donner envie de se pencher davantage sur la question.
Si le Retour du hiérophante (dont j'adore la couverture de
Didier Graffet : le masque qui surplombe le navire est d'une finesse et d'une beauté remarquables) est un poil moins enthousiasmant que Les Maîtres enlumineurs, c'est avant tout parce que nous avons déjà découvert ce monde si riche de l'enluminure dans le premier volume et que l'effet de surprise est passé. Il n'empêche que la lecture de ce roman m'a été fort agréable et que j'en suis presque à regretter que ce cycle ne soit qu'une trilogie. Trilogie dont on espère le dernier tome, en V.O., au milieu de l'année prochaine. Vivement !
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