C'est une nouvelle fois avec une couverture hautement symboliques signée
Didier Graffet que je me suis lancée dans le dernier volet de l'aventure bien riche des Maîtres enlumineurs, ses hommes et femmes qui ont tenté maladroitement de transformer le monde avec leur invention mais ont tapé à côté. L'aventure fut prenante, parfois complexe, parfois perdante, mais toujours pleine d'émotion et de réflexion.
Cela m'a fait bizarre de replonger dans cet univers plus d'un an et demi après son précédent volet. Sans rappel, sans aide, je me suis sentie un peu perdue au début. (Un petit résumé des épisodes précédents n'aurait pas été de trop !) L'auteur en plus nous déracine dans ce troisième tome des aventures de Clef, Sancia, Bérénice et leurs alliés, après une fantasy très urbaine, c'est une fantasy plus maritime et aérienne à la fois qu'il nous propose ici à bord des citadelles, citacielles sur lesquelles voguent nos héros. Mais moi, je me suis sentie déracinée, perdue, sans ancre par moment et ce ne fut pas simple.
Le récit était pourtant plein d'aventure et a démarré plein pot, tandis que Sancia et Clef cherchent comment contrer Tevanne dans son projet de bouleversement mondial. Avec son rythme cassant, tantôt nerveux, tantôt plus calme, où les relances agissaient comme des piques sur notre attention,
Robert Jackson Bennett maintenait toujours nos sens en éveil. Cependant, j'ai aussi eu l'impression que nous étions arrivé à un seuil dans l'histoire, dans l'imaginaire même de ce monde difficilement franchissable, comme s'il avait déjà proposé tout ce qui était possible ici en matière de fantastique et qu'il ne pouvait aller au-delà. Je n'ai donc pas eu le même émerveillement, ni le même vertige que précédemment. Les nouveautés au rayon des enluminures se sont faites attendre malgré ces portes si bien mises en avant au fil de l'intrigue.
Nous étions sur un texte beaucoup plus refermé étrangement malgré le décor plus libre que celui de la ville avec ces citadelles écumant le ciel. L'auteur s'est ici recentré sur ses personnages, leur intimité et leur psyché, ce qui a rendu l'intrigue bien plus intérieure. On aime ou on aime pas, mais on ne pourra pas reprocher à l'auteur d'avoir fait les choses à moitié car il exploite parfaitement cela jusqu'à la fin, afin de tisser une toile bien différente de celle imaginée dans un premier temps, où les questions autour de la nature et la qualité des inventions viennent se coupler avec celles sur notre intériorité, notre humanité et nos sentiments, dans une sorte de revisite de l'Allégorie de la Caverne de
Platon.
Mais revers de la médaille, l'intrigue fut beaucoup plus lente, plus longue, avec un côté "serpent qui se mort la queue", comme si nous avons tourné et tourné en rond pendant fort fort longtemps au milieu de l'intrigue et ce fut dur de s'accrocher jusqu'au bout. Sans nouveauté, avec juste les héros pour tenir et leur quête pour comprendre ce que cherchent leurs adversaires et qui ils sont, mon attention a parfois vacillé assez fortement. Heureusement, trouvaille fort heureuse de l'auteur, bien que classique, les pensées de Clef distillées par fragment au fil des chapitres, semblant faire émerger son passé humain, tandis qu'il se rappelait la vie de famille qu'il avait eu et ce qui l'avait conduit à faire ce qu'il a fait à son fils, ont su me raccrocher, me réveiller et me tenir en haleine. Je sentais que je tenais quelque chose et ce fut effectivement le cas. L'auteur avait astucieusement tissé sa toile et s'il nous avait dévié de cette fantasy très gun & powder des débuts, pour quelque chose de plus calme, ce n'était pas pour rien.
Il m'est donc impossible de ne pas revenir sur ce final. Vous êtes averti, ça va divulgâcher !!!
J'avais vu venir depuis plusieurs chapitres le rôle de Clef et sa famille dans le destin auquel nous étions en train d'assister et dans la solution à trouver à ce final sous tension où le chaos semblait menacer, cela n'a pas loupé. J'avais peur que l'émotion ne soit pas au rendez-vous, je me trompais bien. Bien qu'il ait fait pas mal de name dropping et qu'il ait utilisé d'autres deux ex machina un peu facile pour arranger les besoins de son intrigue, j'ai tout de même beaucoup aimé l'imagination dont il a fait preuve dans le rôle joué avec Clef, suite à son chagrin trop grand pour lui, dans la dérive prise par les enluminures et leur utilisation. Ce fut un très beau chapitre dans l'oeuvre, lui donnant une vraie épaisseur.
J'ai également beaucoup apprécié les chapitres finaux apportant une belle conclusion douce amère sur l'évolution des populations après le passage de Sancia et Clef et ce qu'ils ont fait pour rétablir l'ordre. Les nouveaux fondements de ce peuple, leur choix d'évolution et l'exclusion Berenice, qui ne peut y participer et attend autre chose, m'ont saisi. Cela avait vraiment quelque chose d'émouvant, rappelant dans sa mise en scène et son ton, ces classiques de la SF que j'adore que sont Contact ou Interstellar. L'auteur a vraiment bien joué la carte émotion et a offert un très beau final qui trouvera écho dans les remerciements qu'il adresse ensuite où il raconte les circonstances d'écriture bien particulière de ce tome.
Avec ce dernier tome,
Robert Jackson Bennett met vraiment la dernière touche à une histoire encore plus ambitieuse que ce que j'avais imaginé en la découvrant. Plus qu'un super concept de monde et de magie, Les maîtres enlumineurs racontent comment une invention géniale censée aider le monde peut au contraire le faire vriller si l'on n'est pas prêt mais aussi au contraire le faire positivement évoluer quand c'est en fait le cas. Cela aura parfois été une lecture complexe, je me serai parfois perdue en cours de route, ayant du mal à tout visualiser et à me sentir impliquée à chaque instant, mais l'émotion m'aura a chaque fois rattrapée et je ne regrette pas au vu de ce final plein d'émotion et de nuances. Une belle réflexion sur notre société moderne à travers un récit aux inspirations platoniciennes qui me donne envie de retrouver l'auteur dans ses anciens et prochains travaux.
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