Il avait déniché un chapeau de feutre qui ressemblait à ceux que mettait Henry Fonda pour aller pêcher. Le chapeau était muni de cordons aux couleurs du drapeau mexicain et entouré d’un ruban avec une inscription en lettres rouges : « Le nombre fait la force. » Il ne savait pas très bien pourquoi il lui plaisait. Dans son cas, il n’y avait ni le nombre ni la force. Un détective mexicain était, par définition, un souriant accident solitaire. Il n’était pas seulement solitaire, il avait sommeil, victime de l’engourdissement de quatre heures de l’après-midi, quand la digestion réclame son dû.
Chercher cette fille, c’était à peu près comme essayer de se souvenir des prénoms de tous les personnages des romans de Tolstoï qu’il avait lus. C’était comme nager dans la lumière collante du soleil implacable de Mexicali. Comme se souvenir des vainqueurs du Tour du Mexique dans les années soixante. C’était, Héctor ne s’y trompa pas, non seulement une enquête impossible, mais un effort de mémoire.
Journaliste, plus par curiosité que par amour pour la divulgation d’informations, la frontière s’était transformée pour lui en refuge pour oublier tout un tas de défaites. Défaites anciennes. Oublis récents.
Pas facile d’être mexicain dans ces villes baignées de lumière agressive, de poussière et de panneaux commerciaux en anglais. Héctor sentit que sa moustache, sous la morsure du soleil, avait encore blanchi.
C’était assez drôle de rechercher une femme qui ne laissait derrière elle que des noms de villes-frontières. Même s’il y avait aussi les propres souvenirs dans la tête du détective.