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Critique de berni_29


Si un jour on m'avait dit que j'en pincerais pour Sarah Bernhardt...
Comme souvent j'aime farfouiller dans les bouquineries et un samedi matin je tombe sur ce livre, Ma double de vie de Sarah Bernhardt, récit de ses mémoires d'actrice. Double surprise, d'une part j'ignorais que cette grande dame du théâtre avait écrit sa biographie et d'autre part j'ai découvert une écriture qui se tient merveilleusement dans les pages, belle, simple, nue, incisive, rythmée, inventive, drôle, généreuse. C'est l'écriture d'une grande autrice.
Ma double de vie, c'est bien sûr une autobiographie, mais c'est bien autre chose aussi. Sarah Bernhardt nous dévoile et partage ici sa vie publique et son ressenti sur des plans rapprochés de cette existence. Ici, ne venez pas chercher quelques pans intimes de sa vie qui furent j'imagine presque aussi riches que sa vie publique, mais elle n'en parle jamais, ne les évoque même pas, jamais un mot à ce sujet. Tout juste elle évoque parfois l'existence d'un fils, qu'on découvre brusquement au détour d'une page, je me suis surpris, revenant en arrière sur ma lecture, me demandant si j'avais raté un épisode, qui donc est ce fils ? qui donc en est le père ? dans quel endroit secret, dans quelle étreinte éperdue et furibonde fut-il conçu ? Sarah Bernhardt n'évoque jamais ce jardin secret de sa vie et c'est ainsi qu'il faut accepter ce mystère, s'en faire une raison.
Sans doute a-t-elle séduit, fait tourner bien des têtes d'hommes... Mais si elle fait silence sur ses amours, c'est autant par pudeur, que pour mieux se protéger, protéger les siens des griffes d'un univers impitoyable.
Elle a cependant beaucoup de choses à raconter sur sa vie publique. Tant de choses et surtout qui peuvent nous toucher, nous lecteurs insatiables, follement épris de la justesse et de l'émotion des mots qui nous font parfois accéder à l'invisible, à l'inaccessible...
De Sarah Bernhardt, j'ai l'image d'une vieille comédienne à la voix lyrique et chevrotante, presque ampoulée. Ce récit m'oblige à revoir cette image, - j'en suis presque honteux, je découvre la jeunesse fougueuse de Sarah Bernhardt, son esprit facétieux, irrévérencieux, intelligent sans cesse tout au long de son propos.
Ici le récit porte sur les quatre premières décennies de vie...
Dans ce récit échevelé, elle m'a tenu en haleine, me prenant par la main pour m'entraîner à folle allure dans cette période confuse et tumultueuse du Second Empire.
Elle dévoile ainsi son enfance bretonne lorsqu'elle fut élevée par une nourrice de Quimperlé qui ne parlait que le breton, son adolescence au couvent où elle rêvait de devenir nonne, ses débuts au théâtre, la guerre de 1870 et la Commune, son entrée à la Comédie-Française où elle débute à l'âge de dix-huit ans et d'où elle part avec fracas après avoir giflé un sociétaire, - ce qui ne lui fut jamais pardonnée, son départ pour les États-Unis à la faveur d'une tournée triomphale qui dura sept mois, son retour en France où elle pouvait dès lors affronter son destin...
Sans doute elle ment parfois, comme un comédien ment sur une scène de théâtre. Sans doute elle ment à force de jouer la comédie ou la tragédie... Sans doute elle enjolive certains traits, les rendant follement épiques, occultant par ailleurs ses amours, ses amants... Sans doute s'est-elle mise en scène à son tour, façonnant ce personnage à l'esprit indépendant, rebelle et batailleur ?
Ce qui m'importe ce ne sont pas les faits qu'elle raconte, c'est son ressenti, c'est l'imaginaire qu'elle convoque et étreint au royaume de sa vie comme un amant magnifique et infatigable.
Ce qui compte ici c'est le désir d'une femme rêvant de conquérir le monde et elle le réussit avec rage.
Si Sarah Bernhardt nous parle d'une époque où le théâtre connaissait ses heures de gloire, elle nous fait visiter les coulisses d'un monde qui déborde de loin le domaine des planches et elle nous en apprend de belles sur le pouvoir et l'argent qui gouvernent aussi les milieux artistiques.
Mais c'est son aventure personnelle qui nous touche avant tout, tissant dans ce récit déjà sa légende.
Turbulente, excentrique, cherchant à imposer les caprices de ses désirs, elle est souvent celle des scandales.
Ma double vie, c'est le récit d'une femme qui rêve de conquérir le monde, un vieux monde encore façonné par les hommes, les politiques, les financiers, les écrivains, les journalistes, ceux qui font la pluie et le beau temps, elle réussit par la grâce de son art, par le caprice de ses désirs, par une volonté indestructible, à conquérir ce monde.
Ce qui m'a frappé tout d'abord, c'est la virulence de l'époque, la violence à laquelle elle fut confrontée, celle des jalousies, des rebuffades, des mesquineries, l'hypocrisie des uns, la fatuité des autres, celle des chausse-trappes qu'on lui tendait sans cesse sur son chemin de gloire... Elle démontre un caractère entier et indomptable qui l'a sans doute aidé à tenir debout et triompher avec panache.
Je découvre qu'elle ne fut pas seulement une comédienne - sans doute la plus grande de son temps -, elle fut également une sculptrice talentueuse, une peintre aussi et l'autobiographie dont je vous parle ferait rougir de honte bien des célébrités qui se sont livré avec fadeur à cet exercice.
Plus qu'une artiste, elle fut l'inspiratrice d'une époque ainsi que des auteurs qui la mettaient en scène. George Sand, Victor Hugo, Alexandre Dumas le père et le fils, Théophile Gautier, Gustave Flaubert... Elle a côtoyé les plus grands, mais ne pourrait-on pas inverser la perspective et dire que ces auteurs ont eu la chance de côtoyer et mettre en scène l'éblouissante, la sublime Sarah Bernhardt. Ne se contentant pas de poser sa voix sur des textes entrés dans la légende, - Hernani, Ruy Blas, Lorenzaccio, Hamlet, La Dame aux Camélias, l'Aiglon -, d'habiter avec passion des rôles qu'on croirait taillés pour elle, elle a posé sa voix, ses gestes, son âme comme une lumière drapant la médiocrité du monde...
Le livre que j'ai entre les mains contient aussi des photos de l'artiste, montrant sa beauté éblouissante et farouche, drapée dans des robes amples, dans des costumes parfois exotiques, sur l'une d'elle elle pose nue dévoilant des seins de porcelaine tandis que son regard espiègle perce l'éventail qui tente de cacher son visage. J'ai eu l'impression qu'elle me regardait...
D'une maigreur presque maladive, son physique androgyne récusait les canons de la beauté féminine qui arrondissaient le monde de cette époque et dont les hommes voulaient s'enivrer à souhait, derrière cette silhouette fragile elle impose vite un style qui la rendra célèbre...
Si parfois je l'ai trouvée bien trop complaisante avec un certain Napoléon III qui le lui rendait bien et fort méprisante à l'égard des Communards, cela ne l'a pas empêché de conquérir mon coeur par sa grande humanité, sa présence fidèle près des soldats blessés durant le siège de Paris alors que la capitale était cernée bombardée par les forces prussiennes, sa révolte contre la peine de mort, son attention auprès d'émigrants en détresse qui rejoignaient l'Amérique sur ce navire en partance du Havre, sa compassion pour des condamnés à mort comme cet anarchiste nommé Vaillant dont elle assista fracassée de douleur à l'exécution capitale, son engagement au côté de Zola dans l'affaire Dreyfus...
Ce récit dont je vous parle représente le premier volume de ses souvenirs. Inutile de vous dire que je vais courir très vite vers le second volume, tant la lecture du premier fut un régal. Retourner dans les pas du fantôme de Sarah Bernhardt enchante déjà mon coeur.
« Ma vie, que je croyais d'abord devoir être si courte, me paraissait maintenant devoir être très, très longue ; et cela me donnait une grande joie malicieuse, en pensant à l'infernal déplaisir de mes ennemis.
Je résolus de vivre.
Je résolus d'être la grande artiste que je souhaitais être.
Et, dès ce retour, je me vouai à ma vie. »
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