Citations sur Dahlia (32)
Nous vivons tous ainsi, avec des traites non réglées, des rancœurs mal digérées, des peurs et des regrets.
Un père, c’est un père, parfait ou non. En vérité, nous nous entendons bien. Garde partagée, cordialité, respect. Amitié, même, sans doute. Nous sommes liés par la plus magique des créatures, avec ses grandes oreilles et son regard céladon. Comment ne pas s’aimer après avoir fabriqué pareille petite personne ?
Lettie,
Il fallait que la colère descende. Elle est toujours là, mais j’avais besoin de te raconter ce qui m’arrive. Après ce dimanche, j’ai essayé de te téléphoner toute la semaine, mais tu n’étais jamais là, ou tu faisais semblant, ce qui est probable (et parfaitement dégueulasse). Si j’avais pu te parler, tout serait différent…
Tu avais promis. Je croyais que tu étais mon amie, que ta parole valait quelque chose. Mais rien ne vaut, jamais, je m’en rends compte. IL n’y a que dans les romans que les amitiés sont vraies.
Tu me dégoûtes, Lettie
Comment as-tu pu répéter ÇA ?
Il faut parfois se décider à creuser. Loin, profond, là où ça suinte, dans ces lieux sombres où personne n'a envie d'aller. Rouvrir les tombes, retourner les déserts, déterrer la viande avariée ou juste le bois pourri.
J’étais sûre de ne pas vouloir d’enfant, pas dans ce monde vicié, égoïste, amnésique, sur cette planète qui régresse, au propre comme au figuré.
Je n’ai jamais compris pourquoi Annie, qui avait enfanté à dix-huit ans, était pudique et ce point. Les essayages de maillots, c’était comme les scènes coquines dans les films. La sexualité, je crois, lui faisait peur. Elle m’a transmis une partie de cette peur, de manière nébuleuse. Toute ma vie de jeune fille, puis de femme, j’ai alterné par des phases entre deux extrêmes : la putain et la nonne. Deux catégories qui, sauf miracle, enfantent rarement et ne se marient jamais. Mina est un miracle engendré par une putain de nonne, mais, par chance, son père est coureur de jupons, dragueur invétéré gentleman à ses heures, ce qui devrait offrir à cette enfant un certain équilibre, précaire peut-être, mais qu’importe.
Le soir tombe derrière les vitres étincelantes. Le ciel est gris et rosissant par-delà les toits en zinc, les antennes râteaux, l’ocre minérale des tubes de cheminée. À la radio, les millionnaires promettent des fortunes pour reconstruire Notre-Dame, tandis que le périmètre est pollué au plomb, ce que le grand public apprendra plus tard – trop tard, comme souvent.
La première fois que je m’aperçus de l’existence de Dahlia, c’était au début de mon année de troisième, au retour des vacances de la Toussaint. Je venais d’avoir quatorze ans le 2 novembre. Je suis née le jour des Morts et c’était l’une des choses que ma mère aimait répéter, par jeu ; devenu adulte, je le répète à mon tour. J’ai fini par aimer, je crois, cette façon d’oxymore, comme si cela me donnait une touche d’originalité. Dahlia était dans ma classe depuis la rentrée, mais je ne l’avais pas remarquée jusqu’alors. Elle était encore ce que je fus longtemps : une invisible.
Comme chacun d'entre nous, j'eus affaire au mensonge. J'en ai été coupable, j'en ai été victime. Je parle de ces mensonges terribles, dont les conséquences dépassent de loin celui ou celle qui les a proférés.
En fouillant dans mes placards, j'ai retrouvé le dossier de mon avortement, une pochette en carton d'un jaune pisseux estampillée "Service ambulatoire". Elle portait des marques sombres, des traces de larmes peut-être, ou de sang. Je l'ai jetée sans l'ouvrir, ce n'était pas ce que je cherchais : je cherchais les lettres de Dahlia. J'étais certaine de les avoir conservées, de déménagement en déménagement, comme on conserve souvent les choses qui font le plus mal.