La Petite Dame en son jardin de Bruges

Une minute. Une heure ... Le temps n'existe plus. Une fois encore, à la façon des cartes d'un jeu, le rêve mélange les années.

Le grenier de la maison était également un de mes lieux de retraite préférés. (;..)
Au fond de moi, il y avait aussi, mais je n'osais guère me l'avouer à moi-même, une certaine espérance ténue, enfantine, insensée, mais tenace, qui concernait la mer. Mon cours de géographie m'avait appris que Bruges se trouvait à une douzaine de kilomètres de la côte. (...)
C'est ainsi qu' à la différence de la plupart des garçons de mon âge, je ne fus pas attiré dans le grenier par la curiosité de ce que j'allais y trouver, mais par l'imagination d'un paysage que je ne contemplerais sans doute qu'en rêve. (p. 77)

Je remarque en retournant la photo qu’une main inconnue a pris soin de retourner au verso la composition du groupe et d’y noter les noms des personnages représentés. J’apprends ainsi que ma grand-mère s’appelle Thérèse-Augustine. La consonance de son prénom me ravit : mon enthousiasme la fait rougir comme une jeune fille. Ce que je n’ose pas lui avouer, c’est que je n’avais jamais imaginé que ma grand-mère pût avoir un prénom.

Au fil des mois, la pratique des livres dans laquelle elle n’avait vu à l’origine que le symbole de sa libération et l’instrument d’une revanche sur le destin, finit par se muer en passion toute pure.

Exactement dans l'axe de la lucarne, une brève trouée miraculeuse dans le feuillage m'offrit le spectacle des trois tours réunies en grappe: Saint-Sauveur, la plus massive, au centre, devançait légèrement Notre-Dame, plus haute, plus élancée, plus fine, tandis que le campanile octogonal du beffroi apparaissait un peu en retrait sur la gauche.

A mesure que les progrès du jusant découvraient la laisse de basse mer, celle-ci laissait apparaître tout un entrelacs d'eaux abandonnées que le relief de la plage distribuait en menus lacs irisés d'où quelques ruisselets chuintants retournaient à la mer.

O Thérèse-Augustine, ma grand-mère des groseilles de juin qui tricotiez en me racontant votre vie sur le perron aux capucines, bien des poètes, c’est vrai, firent moins bien que vous.

Elle ne pardonna jamais à son père la violence qui lui avait été faite en la retirant de l’école à douze ans. Ce fut le vrai drame de son existence : un demi-siècle plus tard ; l’amertume d’avoir été flouée la tenaillait toujours.

La pensée me vint brusquement que c'était une manière de rendre visite à ma grand-mère qui lui aurait plu : j'étais en train de regagner le pays où je n'ai jamais cessé d'avoir huit ans. (p. 123)

Le volume à la fleur de pissenlit* semée au vent représentait pour ma grand-mère une manière d'oracle qui était sensé avoir réponse à tout. Elle le consultait non seulement pour apaiser ses anxiétés orthographiques lorsqu'elle entreprenait d'écrire à l'un de ses multiples correspondants, mais à chaque fois que la vie lui posait un problème dont la solution ne se trouvait pas dans un livre de cuisine.
* Dictionnaire Nouveau Petit Larousse illustré