Citations sur Enfant terrible (28)
On me regarde comme un étranger et ce regard est meurtrier. Il faut l’avoir connu pour comprendre. Au lieu d’être accueilli pour ma différence et la nouveauté qu’elle apporte, je suis rejeté comme un paria. Notre ego nous pousse à aimer ceux qui nous ressemblent. Pourtant, la différence est une richesse pour tous. Certes, je ne peux pas débattre des derniers sujets à la mode, mais je pourrais leur expliquer comment on pêche la sole et le rouget, ou comment on nettoie une nacre. Mais ils s’en foutent, ils ne savent pas ce qu’est une nacre et n’ont pas envie de le savoir.
Il y avait aussi un autre monde que j’appréciais tout particulièrement. Le monde des rêves. Aller me coucher était pour moi comme aller à l’aéroport. Je choisissais ma destination, mes amis imaginaires et l’aventure démarrait. Ceux qui m’accompagnaient dans mon voyage étaient souvent des animaux, ce qui me paraît logique puisque je ne fréquentais qu’eux à cette époque. Dans mes rêves, ils étaient doués de parole.
Mon monde intérieur n’était pas en opposition avec celui des adultes, c’était juste un monde parallèle et je m’y réfugiais dès que je sentais une douleur inconnue dans ma poitrine.
Pour une fois, ma mère a l’air de bien aller. Il faut dire que mon père est plutôt calme, car les tentations sont rares. J’ai même le souvenir de les avoir vus allongés au soleil, côte à côte, sur une grande serviette. C’est la seule image que j’ai de leur complicité. Je ne les ai jamais vus se tenir la main, s’enlacer ou encore moins s’embrasser. Je ne les ai même jamais vus se sourire. Juste dormir, côte à côte, assommés par le soleil. Cette image m’a marqué, comme un bonheur possible ou, du moins, une trace de son existence.
Il attrape la vie à pleines mains, à pleine bouche, comme s’il avait peur qu’elle l’abandonne de nouveau. Au passage, il attrape aussi ma mère. Ils se sont déjà rencontrés, il y a quelques années, à Selles-Saint-Denis. À l’époque, ma mère avait 7 ans. Elle se souvient de ce jeune garçon, timide et introverti, ce jeune chien apeuré que ses tuteurs tenaient toujours en laisse.
Pourtant, l’artiste s’expose, dans tous les sens du terme, pour que nous puissions nous reconnaître et grandir. Il y a un petit bout de lui en nous et vice versa . Alors pourquoi haïr ce qu’il nous montre de nous-mêmes ? Quand l’équipe de France est championne du monde, tous les Français sont un peu champions du monde. Avec l’art, c’est la même chose. Nous sommes tous un peu Picasso, un peu Kubrick, un peu Mozart, à condition que nous sachions les aimer.
Créer, c’est se montrer, se découvrir, s’exposer, se fragiliser. C’est beau, mais cela fait peur. Comme l’amour. Celui qui ose s’appelle un artiste. On l’aime pour ce qu’il nous donne et on le hait pour avoir le courage de le faire. Quand on insulte un artiste, on se rassure. On lui jette à la gueule toutes nos règles qu’il ne respecte pas.
Depuis des années, des gens qui ne me connaissent pas parlent à ma place. J’ai donné des centaines d’interviews, on a fait de moi des dizaines de portraits, mais je ne m’y reconnais jamais. Comme si chacun voulait me modeler à sa manière, faire de moi l’exutoire de son propre rêve ou de sa propre faillite.