Citations sur Les amants (14)
"Ce doit être difficile d'écrire."
(...)
"Détrompez-vous. Ca n'est pas difficile du tout. Il suffit d'avoir des souvenirs. Vous savez, poursuit-elle, il y a des chances qu'un de ces quatre vous dénichiez dans un de mes romans une scène de café comme celle qui nous réunit. Les écrivains ont pour seul talent de retenir davantage que les autres, et de savoir réutiliser, recycler."
Sur le trottoir, devant l'hôtel, il pense aux mots qui n'ont pas été dits, au silence obligatoire, à la connivence stupéfiante, à ce qui vient d'arriver, à ce qui va arriver.
Le mensonge est une gangrène, un cancer dont on ne réchappe pas. Il est le meurtre de la confiance. Le poison du quotidien. Paraît -il.
Elle oublie sa tristesse, pour un moment. Cette tristesse des femmes seules, qu'on suppose courageuses parce qu'elles ne se plaignent pas, mais qui saute aux yeux de quelque jeune inconnu, parfois, au beau milieu d'une foule.
Paris, rue du Faubourg-Poissonnière, le même jour
Il se réveille. Pourtant, il ne sait pas se réveiller, n'a jamais su. Il y a des hommes qui sont en pleine forme dès le matin, qui bondissent hors de leur lit, qui sont débordants d'une insupportable énergie. Lui, non. Il doit accomplir un exploit surhumain pour seulement s'extraire des draps, de la bonne chaleur. Cela lui prend parfois plus d'une heure.
Une fois qu'ils ont terminé leurs cafés, elle insiste pour régler la note. Cette fois, elle était la puissance invitante. Il s'y résigne sans lutter. Ils se lèvent, sortent sur le trottoir. Là, elle le regarde, d'abord sans rien dire. Et puis, elle pose une parole sur ce silence. Une parole définitive.
"Vous saisissez que nous allons vivre ensemble, que c'est incontournable désormais, que c'est cela qui va se produire?
- Oui, bien sûr."
Elle l'embrasse calmement. Elle abandonne un peu de rouge sur ses lèvres à lui, qu'elle efface avec le pouce de sa main droite. Elle monte dans un taxi. Il traverse la rue pour aller récupérer son vélo.
Il se trompe mais, quand on doute, on se raccroche à tous les signes possibles et on transforme les présomptions en vérités. On s'arrange quoi.
En échange,je vous ai lue.
-En échange?
-Vous êtes venue me voir au théâtre:j'ai donc pris du temps pour vous lire.
-comment ça,on est quittes?
-Quittes?
-Je plaisante.Et vous avez lu quoi?
......
Paris, villa d'Alésia, le 4 septembre
Parfois, elle a pour lui ce regard famélique des femmes qui deviennent tributaires des hommes, qui perdent pied face à eux, qui abdiquent leur superbe dans l'espoir qu'ils ne s'enfuient pas et qui risquent d'être quittées à force de ne plus ressembler à celles qu'elles étaient à l'heure de la conquête.
Parfois, ce regard implorant des femmes qui redoutent qu'on s'intéresse moins à elles, qui usent d'artifices pour conserver la main et ne font que s'empêtrer dans leurs maladresses.
Ce regard affolé des femmes qui, égarant leur assurance, en deviennent arrogantes; renonçant à leur simplicité et à leur clarté, paraissant tarabiscotées et obscures; oubliant la puissance de leur vérité, se diluent dans des mensonges ou des contrefaçons.
Ce regard embué des femmes qui témoignent leur émotion dans la grandiloquence et les sanglots; leur tendresse dans des gestes brutaux et désordonnés; leur désir dans une insistance de mauvais aloi; leur besoin d'amour dans une plainte muette.
Le regard vide et avide des femmes au bord de se défaire.
Paris, café Beaubourg, le 3 juin
Elle arrive la première, s'installe au premier étage, dans un fauteuil profond, à une table qui jouxte une fenêtre ouverte. De là, elle contemple des arbres en fleur sur une place minuscule. Mécaniquement, elle se souvient des lilas de son enfance. Elle sait depuis fort longtemps que Proust avait raison.