Toutes sortes de souvenirs lui affluaient à la mémoire... Les cours de catéchisme... si tu voles... un franc à une vieille femme qui n'avait que ce franc pour toute fortune... péché grave... péché mortel... tandis que si tu voles cent mille francs à... une milliardaire, tu ne commets peut-être même pas un péché véniel... Ouis !
Dans la vie, songeait-il, ce qu'il faut, c'est ne jamais se décourager; il faut toujours lutter; nul ne sait où est fourrée sa chance; un jour, il la découvre par hasard, en fouinant.
Si tu n'as pas la force, fils, essaie de russer. (P.55)
Avant de pénétrer dans le bureau du commissaire, il revit une dernière fois l'image de sa mère, une pauvre chose, maigre, noire, misérable, dégoûtante, inhumaine et digne de pitié, qui gisait sur un lit de bambou.
Pourquoi les recrutait-on toujours dans le Nord ?(...) C' est
peut-être uniquement parce qu' ici ce n' était pas leur pays .
Si on prenait des gars d' ici pour être gardes régionaux
là-bas , peut-être qu 'ils seraient aussi insensibles .
Les Blancs eux-mêmes leur avaient dit: « Venez donc dans nos écoles. > Ils sont allés dans leurs écoles; ils ont appris à parler leur langue, à discuter avec eux, à faire des calculs sur les feuilles de papier, tout comme eux. Ils font marcher des machines terribles qui abattent les arbres, creusent les routes; ils roulent dans les camions à des vitesses infernales; ils font tout ce que font les Blancs. Alors, ils ne veulent plus être tenus pour de simples domestiques, pour de simples esclaves comme leurs pères, mais pour des égaux des Blancs. Et ces derniers, qu'est-ce qu'ils pensent de tout cela, je me le demande ? Est-ce qu'ils vont accepter de n'être plus les maîtres ? ou est-ce qu'ils s'y refuseront?
Si nos chefs à nous avaient seulement le courage de nous défendre, ce qu'ils feraient tout de suite c'est d'aller protester... Seulement, ce n'est pas eux qui feront ça. ils n'ont jamais pu paraître devant le Blanc sans avoir envie de pisser.
De notre temps, si un Blanc te disait: « Mets-toi à genoux ! » tu ne trouvais rien de mieux à faire que de te mettre à genoux; ou bien : « Couche-toi sur le ventre, que je te fouette le derrière ! », tu t'aplatissais sur le sol. Aujourd'hui, avec nos fils, ce n'est plus la même chose. Ils ont grandi; ils nous méprisent parce que nous avons courbé la tête devant les Blancs.