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Critique de musanostralecture


Marcu Biancarelli fait partie de ces écrivains corses qui tentent de
vivre l'aventure littéraire autrement. Ils sont à la fois corses,
profondément, et universalistes, c'est à dire humains.
Marcu Biancarelli, on le connaît pour « 51 Pégase », « Cusmugrafia »
, « Vae Victis »… pour ses articles, les blogs qu'il anime et à
musanostra, pour sa participation à de belles soirées vouées à la
littérature et à l'amitié
Avec MURTORIU qui paraitra en septembre chez Actes Sud , il se lance
dans une autre aventure . Ce roman d'abord rédigé en langue corse et
publié chez Albiana, a été traduit par Jérôme Ferrari, M.O.Ferrari et
JF Rosecchi.
Une traduction qui est en soi une histoire de proximité et de
fraternité dans les territoires humains. Nous avons donc la primeur
de ce qui sera très probablement un événement littéraire à la rentrée
de Septembre.
Murturiu, c'est en corse, « le glas et l'avis de décès », le chant
funèbre qui accompagne les morts violentes, d'où ce sous-titre «
La ballade des innocents ».
Une ballade qui évoque plutôt le massacre des Innocents, et se passe
en Corse sous une géographie maudite de désastres et de cataclysmes
humains. Mais la tragédie chez B. n'a jamais la couleur du pathos
.Elle est toujours empreinte de retenue et de dérision !et sans
aucune compassion pour les médiocres et les « nombreux » que nous
sommes. C'est la tragédie de l'homme double, soumis à une double
postulation comme dirait Baudelaire, tantôt animal, le plus souvent,
tantôt ange . Mais chez M Biancarelli, c'est l'ange, sans Dieu, juste
l'Espoir qui voudrait vivre, et une certaine forme de pureté
Le narrateur écrivain, poète et libraire ratés (il l'affirme) vit
dans le Sud de la Corse. C'est Marc Antoine, de la lignée des
Cianfarelli, fils du » Vieux » , qui a trainé ses guêtres à Alger, et
du grand père ,Marc Antoine lui aussi ,héros « échappé de l' épopée
guerrière de 14/18 ». Des figures tutélaires qui innervent le roman
dont le narrateur va croiser les destins , les rencontres ,les époques
les traumatismes ,les désillusions ,les retours et les fuites mais de
façon allusive ,sans les inscrire dans une construction narrative
serrée .Marc Antoine , le narrateur , est des nôtres , mêmes lieux,
mêmes dérives et misères morales .Sa bouffée d' air pur, c' est
l'écriture : « lorsque tu écris et que tu es possédé tu te dis que tu
as pour mission de conjurer une bonne fois pour toutes cette saloperie
de destin » ; Il voudrait être Prométhée ,mais il n' est qu'humain,
alors il lui arrive de prendre « du Doliprane ».
Il a des amis, ceux de sa « Terre », comprenez de son territoire »
authentiques bergers, sages ou innocents comme Trajan ou Mansuetu qui
vivent dans un nature forte, dure mais authentique dans ses valeurs.
Avec eux, il mange du fromage et va à la chasse, parfois même avec des
touristes .Le chapitre sur la chasse est l'occasion de très belles
pages à la Giono(celui d' un Roi sans divertissement ) La description
du face à face avec le mouflon acquiert une force presque
métaphysique : « je le regardais, partagé entre l'instinct du tueur
et l'admiration jalouse conditionné par l'affut et plein de gratitude
face à ce sommet de grandeur désireux de dompter son irrévérence et
dilacéré par sa liberté » .Va t'il tirer ?
La petitesse et la bêtise humaines sont là aussi, tapies dans le
détail de l'écriture : « les touristes photographiaient même les
grosses mouches vertes qui commençaient à envahir les trous sanglants
de la chair déchirée »
La tragédie et les chants funèbres viendront, non pas des
touristes, Tartarins d'opérette et colonialistes à leurs heures (voir
la scène chez le médecin ou la place de parking), consommateurs de
folklore et ignorants par-dessous tout. La tragédie et les chants
funèbres viendront des malfrats locaux, corses du cru et vraies
ordures, les Don pierre et autres.
Il y a l'amour et les femmes, le désir et le sexe : sa cousine Léna ou
l « avocate »
Le désir et le sexe dénués de sentiments peuvent se consommer comme
de vulgaires produits, dans une version, animal en rut. Et il arrive
au narrateur d'être comme ces « nombreux ». Il est alors aussi
pitoyable qu'eux car le sexe y est cruel, y compris pour ces
femmes, femelles d'un soir de beuveries et « paumées ». de la misère
morale à l'état pur. Je vous conseille les pages sur la drague par
texto : drôle et dérisoire
On a souvent reproché à Biancarelli d'être cru, voire vulgaire et
même misogyne .Il est vrai que les mots sont souvent crus (moins
d'ailleurs ici que dans Pégase 51)),à l'image des situations qui le
sont infiniment plus .Il me semble pourtant que le désir et le sexe y
sont aussi l' expression d'une vitalité et d'une énergie de survie
.Une façon d'exfiltrer le trop-plein, pour ne pas imploser .Comme
les mots .Des pages aussi d'une grande humanité pour parler des
prostituées ces « cabossées de la vie »qui vendent leurs corps pour
survivre .La vraie vulgarité est ailleurs .Elle est chez ces femmes
qui se prostituent sans obligation, juste pour quelques cadeaux, une
voiture ou un statut social. Lui, il se vit comme l'un de ces
loosers des romans noirs américains, sans illusion, ni sur les autres
ni sur lui-même, mais qui a toujours en lui cette petite lueur, ce
maudit petit espoir qui voudrait vivre. Mais, à vouloir faire l'ange
on fait parfois la bête…
Le narrateur évoque aussi la Guerre 14/18, à travers son grand père :
une chronique plutôt qu'une fable. .Les corses arrachés à leurs
villages se voient propulsés dans l'enfer des combats du Pas de
Calais et confrontés à la mort, au corps à corps. Un traumatisme.
Chairs déchiquetées et massacres des innocents .Lorsque les survivants
reviennent, ils n'appartiennent plus au même monde. Déracinement.
On pourrait parler aussi des réflexions de l' auteur sur le
consumérisme ,les centres et les périphéries ,et de bien d'autres
choses encore qui font la marque du style Biancarelli .Le style
Biancarelli sur un mode apaisé, moins « gueuloir » .Une révolte qui
crisse ,poétique et épique ,lyrique aussi , plus ciselée mais toujours
là ,à fleur d'écriture. Un mélange de Céline et de Giono. La lecture
peut être aussi de Ferrari interprétant Biancarelli .
Un beau livre.
Ivana Polisini-Mattei septembre 2012
Lien : http://www.musanostra.fr
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