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Roman dur et rude, écrit par un Corse sur la Corse, sa Corse, comme il la voit, comme elle est envahie par les touristes, comme elle est vendue par les politiques et les promoteurs.

Il y a un peu de l'atmosphère surchauffée de 'Sous le soleil des Scorta' de Gaude. C'est plus alcoolisé, plus crument violent et encore. Cela semble sans doute plus cru car cela tient plus du récit romancé que du roman, même si c'en est bien un. Cela sent le vécu, le ressenti.

J'ai bien aimé cette incursion sur cette île où je ne suis jamais allée, île dite de beauté, mais où la beauté morale n'est pas toujours au rendez-vous, à lire ce roman.

Pour découvrir autre chose. Hors des sentiers habituels.
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J'ai lu le dernier Biancarelli.
J'ai longtemps hésité.
Non pas que je doutais de la qualité de l'oeuvre, mais le plébiscite unanime à tendance à me refroidir.
C'est présomptueux. Un brin orgueilleux.
C'est possible et je m'en fous.
J'ai horreur de suivre les joueurs de flute qui ont tendance à nous noyer sous le miel écoeurant de leur guimauve intellectuelle abondante. Cette attitude peut jouer des tours. C'est le cas ici.

J'ai donc lu « Orphelins de Dieu ». J'ai ouvert le feu de cette lecture avec des aprioris.
True Grit, les histoires de vengeance familiale à la Mérimée version moderne, les westerns, la culture américaine et le style Ellis/Palahniuk etc.
J'ai été bien con. J'ai fait ce que tout lecteur sait qu'il ne doit pas faire : j'ai lu les critiques avant de lire le bouquin et j'en ai été pour mes frais.
Biancarelli nous a bien eus (moi le premier). Il cache sous sa narration principale (à laquelle bien des lecteurs consommateurs se sont arrêtés) une question profonde qui semble le hanter : Et si nous étions les oubliés de l'histoire ? Et pour nous faire partager ce cauchemar comme on délivre l'eucharistie, l'auteur nous plonge dans une Corse délabrée, aspirée par le néant, sur laquelle règne sans partage l'inversion (ou l'absence) des valeurs, coincée entre la société agropastorale dure et sévère mais riche qu'elle fut et le no man's land absurde et creux qu'elle tend à devenir.
Ce roman n'est pas un western.
Ce roman n'est pas une histoire de vengeance.
Ce roman (si c'en est réellement un) est un cri assourdissant.
C'est le tonnerre assourdissant des armes déchargées à bout portant pour quelques soldi tafunati. C'est le son rémanent des os qui cassent sous les coups. C'est le râle d'un monde qui meurt alors que le suivant n'est pas encore né.
Les anti-héros de l'auteur en sont là. Anciens soldats d'une armée défaite, Poli, Antonmarchi, Colomba, ces hommes sont voués à être des bandits. Leur terreau social, leur cadre moral, tout a disparu. A cette époque où Napoléon III détruit la Corse économiquement, socialement et culturellement, les hommes sont pris dans la tempête de l'anarchie et de la survivance, mélancoliques jusque dans la tenue d'une époque qui ne sera jamais plus.
C'est dans cet état de transition entre ce qui n'est plus et ce qui n'est pas encore que se situe « Orphelins de Dieu ». Entre le bruit des armes et le silence des hommes.
Marcu Biancarelli nous a habitués à ce bruit et cette fureur. Et pourtant je n'en ai pas lu beaucoup de lui, à peine Murtoriu. Mais quel déchaînement. Quel vertige. Cette chute qui n'en finit pas et qui revient régulièrement dans les discussions. Murtoriu, c'est la plaie ouverte et sanguinolente dont la douleur nous rappelle que nous sommes toujours vivants.
Vivants oui, mais dans quel état ?
Un peuple ? Certainement hors champ, dans une bulle idéale presque platonicienne où nous plaçons encore nos fantasmes de gloire collective et d'abnégation communautariste. Il reste peu de la Corse dans l'entité socio-culturelle que nous voulons représenter coûte que coûte. Cela se ressent dans les lignes du roman : Nul n'invoque un patriotisme quelconque, personne ne chante de paghjelle en hommage aux héros tombés lors des batailles dont nous avons aujourd'hui fait des images d'Epinal.
Les individus ? C'est là que Biancarelli fait mouche. La Corse et les corses existent bel et bien. Mais pas les corses de Dumas ou ceux des grands voyageurs du XIXème siècle qui peignaient les gens avec la palette subjective de leur esthétisme déjà kitsch. Ces corses qui
Les corses qui peuplent les pages des livres de l'auteur comme ceux qui peuplent les rues de nos villes et villages, ils sont faits de dents cassées et de 4X4, de baises sauvages, de sang craché et de violence immanente. Les corses raclent la terre avec leurs mains pour survivre. Leurs mains sont dures.
C'est là le maitre mot. Survivre. Vénérande n'est pas une héroïne. Elle ne cherche pas réellement à venger son frère devenu une ombre, ni mort ni vivant. Elle est le pendant inverse d'Antigone. Elle cherche à survivre égoïstement en se nourrissant en retour de la cruauté exercée sur son monde, de la sauvagerie que l'on a imposée dans sa sphère intime. Elle qui est à peine jolie et complètement digraziata, l'anonyme de cette terre souvent ingrate, dont le purgatoire a été violé par la rapacité des hommes, elle se fait valkyrie pour abattre son courroux sur le champ de bataille, se faisant Infernu à la place de l'Infernu.
L'histoire de la Corse, chez Biancarelli, c'est celle-là. Non pas des héros immaculés qui se tiennent debout au milieu de la bataille, ceints dans l'armure brillante de la vertu et de la puissance, mais bien des hommes propulsés par le sens de l'Histoire qui n'est jamais celui des peuples, ces courants contraires qui font d'un officier légendaire un bandit des grands chemins, dont l'armée mexicaine est composée elle aussi d'hommes de chair, de sang et de pulsions.
Ces pages de la vie de la Corse, que nous idéalisons bien volontiers lorsque nous sommes en détresse sociale, ce ne sont pas les pages d'un conte moralisateur ou d'une fable politicienne. Ce sont les pages de notre histoire, faites de pendaisons, de trahisons, d'errance et d'exil, de mort et d'humanité.
Pas de caractère cyclique de la marche du monde ici. Non. L'Histoire est une course en avant qui balaie les hommes ancrés dans leur époque.
Biancarelli fait bien plus que de nous livrer la Grande Histoire. Biancarelli nous livre la vie des hommes, exactement de la même manière dont l'Infernu passe le témoin à Vénérande : D'humain à humain, face à face, les yeux dans les yeux, intimement, comme s'il ne pouvait en être autrement car, nous le savons, notre culture est orale et non écrite, elle se transmet par la voix. Or Vénérande n'aura personne à qui transmettre cet héritage. Son frère est sourd et muet, effacé du tableau de la vie. La jeune fille vivra sa vie dans le silence du monde qui s'efface et nul ne recevra le cadeau empoisonné par la mélancolie qu'elle a hérité du tueur à gage, la confession du tueur qui vaut presque testament.
Ces personnages vivent au purgatoire, l'Infernu est le psychopompe qui conduit Vénérande à travers les meurtres, les vols, la poussière et la terre, Vénérande est le Virgil qui amène le vieux tueur vers l'expiation de ses péchés, la délivrance de sa déchéance trouvée à travers elle et elle accomplit le destin de l'Homme à travers lui. Dans ce samsara, les individus se servent les uns des autres. Dans le cas contraire, ils sont ennemis. Les deux protagonistes principaux en sont là : ils cherchent l'absolution mutuelle, ils cherchent les Santa Lucia comme on cherche la Sainte Lumière. Colomba la trouvera dans la mort, Vénérande la trouvera par le biais du legs du tueur.
Ensuite, il retournera à la terre sous une croix anonyme, pas tout à fait mort et elle retournera à la poussière de son village, pas tout à fait vivante.
Alors, me direz-vous j'intellectualise ou interprète à ma façon cette lecture. Et alors ? C'est ce que j'ai lu dans ces pages trop rapidement assimilées. J'ai lu l'histoire des hommes de mon pays. J'ai lu l'histoire de ce qui se passe lorsque l'on tue une société trop lentement et qu'on la laisse se vider de son sang en la regardant mourir. J'ai lu l'histoire de Poli, ce héros du maquis dont la photo du cadavre exhibé a hanté mon enfance, et qui s'est retrouvé perdu entre deux époques, comme le fantôme du cavalier sans tête d'Irving coincé entre deux mondes.
J'ai lu mon pays dans le straziu de chaque jour, j'ai lu mon peuple dans ce qu'il a de plus excessif mais de plus vrai. J'ai lu la vie des hommes quand le monde les oublie.

J'ai lu Théodore Poli, l'orphelin de l'Histoire du monde.
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Un libraire attaché à une certaine littérature et seulement à certains auteurs, essayant de devenir un écrivain, habitant dans un hameau retiré de la montagne corse, ayant seulement deux vrais amis, s'insurge contre tous ceux qui font perdre à la Corse son âme, contre les promoteurs, ceux qui acceptent de vendre les terrains, qui transforment un commerce traditionnel en magasin à touristes, contre les nationalistes, contre ces "viandards" qui, à la chasse, n'ont aucun respect pour le gibier, tuent et massacrent sans aucune noblesse, etc.
Un coup gueule aussi contre ces crimes, contre ces règlements de compte, qui peuvent toucher tout le monde, même ses meilleurs amis. Crimes et règlements de compte pourquoi?
Une image de la Corse qui se défigure jour après jour, souvent du fait des corses eux-mêmes, plus attachés au fric qu'à leur île.
Un coup de gueule résumé dès les premières phrases :
- "Vous êtes une bande d'êtres indignes, des vendus ajouterais-je. Vous êtes exactement dans la même logique que celle qui pousse les putes à vendre leur cul. Vous avez décidé de vivre du tourisme, de vous vendre et de vendre votre merde, et vous considérez en plus qu'une bonne raison de le faire c'est que vos clients ne valent pas mieux, vous n'avez aucune considération pour vos clients parce que vous savez vous êtes des vendus et des producteurs de merde, vous ne leur portez aucune estime parce que vous ne pouvez pas vous estimez vous-même à travers ce que vous faites, conclusion : pour moi vous êtes de vraies petites putes! Je ne vois aucune différence entre ceux qui vendent des glaces et les putes."
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Marc Biancarelli a écrit ce livre en langue corse(traduction assurée en partie par Jérôme Ferrari) et il n'est tendre avec personne, ni avec les Corses, ni avec les Touristes, ni avec lui -même, ni, en vérité, avec l'humanité toute entière...C'est un livre très dur voire même parfois très cru et il est difficile de supporter et d'expliquer tant de haine.Le personnage principal Marc-Antoine Cianfarini est un libraire amoureux de certains livres et de poésie mais il déteste la société de consommation et en particulier les touristes au point de fermer sa librairie l'été et de se réfugier dans un hameau où il habite la maison familiale héritée de ses aieux. Ses amis passent avant tout et il partage avec eux les bonnes bouffes bien arrosées et une passion pour le sexe. La violence de ses propos et des comportements des uns et des autres sont lamentables en particulier dans leurs rapports avec les femmes.Je recommande toutefois la lecture de ce livre, édifiant sur certaines dérives de la Corse, mais aussi pour des pages très bien écrites et très belles sur la montagne corse, sur l'amitié virile ainsi que les passages qui évoquent la terreur de la guerre de 1914...Le parti pris de l'auteur est un jugement sévère, parfois injuste, mais sans concessions sur les méfaits de la société de consommation au travers duquel perçent évidemment des blessures et fêlures très personnelles.
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Allez, une fois n'est pas coutume, l'auteur : Marc Biancarelli est enseignant de langue corse, et a publié de nombreux ouvrages en corse et en français. La VO de Murtoriu a été publiée en 2009.
En langue corse, murtoriu revêt le double sens de glas et d'avis de décès.

"Et déjà il lui semble entendre les cloches sonner le glas dans son village, les gens qui tombent de désespoir, qui se jettent dans le ravin, les enfants sans soutien. Il entend le glas sonner, qui fige les campagnes, et il voit les gendarmes arriver, tenant à la main les télégrammes bleus qui annoncent eux aussi la mort, la mort sans fin, et qui disent la boucherie de Dieuze, qui disent les massacres des Eparges, et qui disent le désastre de l'Argonne, et qui racontent les tueries de la côte 304 et du Mort-Homme, et le carnage de ce jour, et tous ces avis de décès envoyés vers sa terre lointaine, et qui lui parlent, qui lui annoncent la fin de tout, la fin d'un monde, et il est vivant, lors que tous les autres, tous ceux qu'il connaissait, ceux qui chantaient avec lui dans le train du départ, tous sont morts.(...). La fin, la fin est là. Et le glas qui sonne là-bas dans les Terres.
Per pudèlavi spiega
Un vale carte nè penne
Lu sangue curria à fiume
Corsi è Alumani inseme."

Marc-Antoine Cianfarani, le grand-père, est revenu des tranchées de la première guerre mondiale (époustouflants chapitres!) et de nos jours Marc-Antoine Cianfarani son petit-fils quarantenaire traîne sa misanthropie: seuls trouvent grâce quelques amis. Il vivote dans sa librairie qu'il ferme au fort de l'été, fuyant les touristes, écrit des poèmes, et préfère se réfugier dans un village de la montagne corse. Il ne mâche pas ses mots, ses opinions sont brut de décoffrage, ses rapports avec les femmes, disons, difficiles, même si un coeur bat sous le cuir. Il déteste les touristes et les promoteurs qui défigurent son île. C'est rude, c'est âpre, sans concession. Les continentaux en prennent pour leur grade (passages hilarants...). Les maux de l'île ne sont pas passés sous silence - un vol, un racket et deux assassinats en moins de 300 pages... "Je ne voudrais pas ajouter à ma décadence et à mon inadaptation à ce monde cinglé le fait d'avoir l'air d'un con. Inutile d'aggraver mon cas, il me suffit de passer pour un asocial et un mec puant - ce que je suis." Lucide dans l'auto dérision, quoi.

Je n'ai pas tout compris, n'ai pas envie de tout analyser, d'autres le font mieux. Mais quel beau texte! Quelle écriture! Lisez ce roman.

Lien : http://enlisantenvoyageant.b..
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Dans ce roman, l'auteur rend hommage à ces anciens Corses qu'il a connus dans son enfance, à leur culture et leurs valeurs, et plus largement à toute cette société rurale mise à l'agonie par la guerre de 1914 : un monde disparu dont l'inofensif berger corse Mansuetu pour qui sonne le glas est le dernier témoin.    
L'assassinat de ce personnage s'annonce dès les premières pages, et Marc Biancarelli nous y conduit de manière inéluctable, prenant acte de la fin d'un monde dont il faut savoir faire son deuil pour continuer à vivre.
Car Murtoriu n'est pas un livre uniquement tourné vers la violence et la mort, ni vers le passé, il s'inscrit également dans une dynamique. Dynamique de l'histoire d'une île qui n'en finit pas de mourir, enfermée dans ses dérives et ses contradictions, mais aussi de l'histoire individuelle de son héros et narrateur, un libraire solitaire et écrivain raté dont la vie sentimentale s'est avérée un fiasco : deux histoires parallèles et imbriquée .
Un très beau roman !
Lien : http://l-or-des-livres-blog-..
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Maintenant tout le monde sait traduire Murtoriu, on a donc bien avancé dans l'apprentissage de la langue corse. D'ailleurs le texte, grave et puissant, fonctionne comme le battant de la cloche, oscillant sans discontinuer de la Première Guerre mondiale à l'époque contemporaine pour répercuter le même message de fin. le même constat de décès. D'emblée on comprend que la messe est dite, le héros-libraire met les points sur les i d'un possible lecteur déjà coupable de se trouver là. Parce que, de cette mort, ce lecteur n'est probablement pas si innocent qu'il veut le croire. La terre du nord de la France, celle des montagnes du sud de la Corse, partout s'inonde d'un même sang inutilement versé. A la désolation définitive des paysages du nord répond la désertification des paysages du sud de l'île. La guerre passée, la Corse n'est plus qu'un spectre qui se jette dans les bras de la grippe espagnole, comme si l'horreur n'était pas suffisamment nourrie... Dans ce siècle franchit de page en page, les usages deviennent des traditions, puis des souvenirs, puis du folklore. Les témoins, ce qui en grec se traduit par martyrs, n'ont qu'à disparaître, inadaptables de toute façon ils sont sacrifiés. L'horreur en redemande, parce qu'elle veut tout, jusqu'à l'âme, et l'âme de ce pays est autant dans la tête des gens que dans ses paysages. La Corse s'autodétruit, comme le renard piégé se dévore la patte pour aller mourir ailleurs.
Le dernier son de la lourde cloche s'évanouit dans l'air pesant de la mort annoncée, et Marc Antoine le libraire reproduit à sa façon le geste de Marc Antoine son grand-père.
L'auteur confirme ici son style particulier, quasi géologique, rocailleux et vrai, âpre parfois. Il le parfait jusque lui faire épouser les contours de son texte, comme ciselé à la crête de ses montagnes, ou imprégné de peur, de sueur et de sang. Il bouscule, dérange, sort de derrière son écritoire. Ce roman, si corse dans le ton et l'esprit, peut prétendre à l'universel. Il suffit d'ouvrir les yeux sur ce monde pour en voir le tragique autant que la vacuité. Il inscrit son message parmi ceux que, depuis l'Antiquité, la Méditerranée adresse à l'humain. Lui montrant sa mesure et sa raison sans cesse menacées par ses passions éphémères. La traduction est efficace qui parvient à rendre au texte sa densité originelle et parfois même sa sonorité.
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Marcu Biancarelli fait partie de ces écrivains corses qui tentent de
vivre l'aventure littéraire autrement. Ils sont à la fois corses,
profondément, et universalistes, c'est à dire humains.
Marcu Biancarelli, on le connaît pour « 51 Pégase », « Cusmugrafia »
, « Vae Victis »… pour ses articles, les blogs qu'il anime et à
musanostra, pour sa participation à de belles soirées vouées à la
littérature et à l'amitié
Avec MURTORIU qui paraitra en septembre chez Actes Sud , il se lance
dans une autre aventure . Ce roman d'abord rédigé en langue corse et
publié chez Albiana, a été traduit par Jérôme Ferrari, M.O.Ferrari et
JF Rosecchi.
Une traduction qui est en soi une histoire de proximité et de
fraternité dans les territoires humains. Nous avons donc la primeur
de ce qui sera très probablement un événement littéraire à la rentrée
de Septembre.
Murturiu, c'est en corse, « le glas et l'avis de décès », le chant
funèbre qui accompagne les morts violentes, d'où ce sous-titre «
La ballade des innocents ».
Une ballade qui évoque plutôt le massacre des Innocents, et se passe
en Corse sous une géographie maudite de désastres et de cataclysmes
humains. Mais la tragédie chez B. n'a jamais la couleur du pathos
.Elle est toujours empreinte de retenue et de dérision !et sans
aucune compassion pour les médiocres et les « nombreux » que nous
sommes. C'est la tragédie de l'homme double, soumis à une double
postulation comme dirait Baudelaire, tantôt animal, le plus souvent,
tantôt ange . Mais chez M Biancarelli, c'est l'ange, sans Dieu, juste
l'Espoir qui voudrait vivre, et une certaine forme de pureté
Le narrateur écrivain, poète et libraire ratés (il l'affirme) vit
dans le Sud de la Corse. C'est Marc Antoine, de la lignée des
Cianfarelli, fils du » Vieux » , qui a trainé ses guêtres à Alger, et
du grand père ,Marc Antoine lui aussi ,héros « échappé de l' épopée
guerrière de 14/18 ». Des figures tutélaires qui innervent le roman
dont le narrateur va croiser les destins , les rencontres ,les époques
les traumatismes ,les désillusions ,les retours et les fuites mais de
façon allusive ,sans les inscrire dans une construction narrative
serrée .Marc Antoine , le narrateur , est des nôtres , mêmes lieux,
mêmes dérives et misères morales .Sa bouffée d' air pur, c' est
l'écriture : « lorsque tu écris et que tu es possédé tu te dis que tu
as pour mission de conjurer une bonne fois pour toutes cette saloperie
de destin » ; Il voudrait être Prométhée ,mais il n' est qu'humain,
alors il lui arrive de prendre « du Doliprane ».
Il a des amis, ceux de sa « Terre », comprenez de son territoire »
authentiques bergers, sages ou innocents comme Trajan ou Mansuetu qui
vivent dans un nature forte, dure mais authentique dans ses valeurs.
Avec eux, il mange du fromage et va à la chasse, parfois même avec des
touristes .Le chapitre sur la chasse est l'occasion de très belles
pages à la Giono(celui d' un Roi sans divertissement ) La description
du face à face avec le mouflon acquiert une force presque
métaphysique : « je le regardais, partagé entre l'instinct du tueur
et l'admiration jalouse conditionné par l'affut et plein de gratitude
face à ce sommet de grandeur désireux de dompter son irrévérence et
dilacéré par sa liberté » .Va t'il tirer ?
La petitesse et la bêtise humaines sont là aussi, tapies dans le
détail de l'écriture : « les touristes photographiaient même les
grosses mouches vertes qui commençaient à envahir les trous sanglants
de la chair déchirée »
La tragédie et les chants funèbres viendront, non pas des
touristes, Tartarins d'opérette et colonialistes à leurs heures (voir
la scène chez le médecin ou la place de parking), consommateurs de
folklore et ignorants par-dessous tout. La tragédie et les chants
funèbres viendront des malfrats locaux, corses du cru et vraies
ordures, les Don pierre et autres.
Il y a l'amour et les femmes, le désir et le sexe : sa cousine Léna ou
l « avocate »
Le désir et le sexe dénués de sentiments peuvent se consommer comme
de vulgaires produits, dans une version, animal en rut. Et il arrive
au narrateur d'être comme ces « nombreux ». Il est alors aussi
pitoyable qu'eux car le sexe y est cruel, y compris pour ces
femmes, femelles d'un soir de beuveries et « paumées ». de la misère
morale à l'état pur. Je vous conseille les pages sur la drague par
texto : drôle et dérisoire
On a souvent reproché à Biancarelli d'être cru, voire vulgaire et
même misogyne .Il est vrai que les mots sont souvent crus (moins
d'ailleurs ici que dans Pégase 51)),à l'image des situations qui le
sont infiniment plus .Il me semble pourtant que le désir et le sexe y
sont aussi l' expression d'une vitalité et d'une énergie de survie
.Une façon d'exfiltrer le trop-plein, pour ne pas imploser .Comme
les mots .Des pages aussi d'une grande humanité pour parler des
prostituées ces « cabossées de la vie »qui vendent leurs corps pour
survivre .La vraie vulgarité est ailleurs .Elle est chez ces femmes
qui se prostituent sans obligation, juste pour quelques cadeaux, une
voiture ou un statut social. Lui, il se vit comme l'un de ces
loosers des romans noirs américains, sans illusion, ni sur les autres
ni sur lui-même, mais qui a toujours en lui cette petite lueur, ce
maudit petit espoir qui voudrait vivre. Mais, à vouloir faire l'ange
on fait parfois la bête…
Le narrateur évoque aussi la Guerre 14/18, à travers son grand père :
une chronique plutôt qu'une fable. .Les corses arrachés à leurs
villages se voient propulsés dans l'enfer des combats du Pas de
Calais et confrontés à la mort, au corps à corps. Un traumatisme.
Chairs déchiquetées et massacres des innocents .Lorsque les survivants
reviennent, ils n'appartiennent plus au même monde. Déracinement.
On pourrait parler aussi des réflexions de l' auteur sur le
consumérisme ,les centres et les périphéries ,et de bien d'autres
choses encore qui font la marque du style Biancarelli .Le style
Biancarelli sur un mode apaisé, moins « gueuloir » .Une révolte qui
crisse ,poétique et épique ,lyrique aussi , plus ciselée mais toujours
là ,à fleur d'écriture. Un mélange de Céline et de Giono. La lecture
peut être aussi de Ferrari interprétant Biancarelli .
Un beau livre.
Ivana Polisini-Mattei septembre 2012
Lien : http://www.musanostra.fr
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J'essaie, tant que faire se peut, d'allier mes voyages avec la découverte de la littérature locale. C'est donc en Corse, où je mettais les pieds pour la première fois que j'ai découvert le Murtoriu de Marc Biancarelli.
Son style et son récit, pleins de violence, de haine, de crudités, m'ont terrassée, tant ils étaient en décalage avec les magnifiques paysages que j'avais sous les yeux. Cependant, en y regardant de plus près, force m'a été de constater la profonde vérité qui se dégageait de ma lecture : la haine des étrangers (le summum étant le continental parisien), l'opposition quasi continuelle à toutes formes de règles, la désertification des villages de montagnes, les regrets d'une autre vie.
Qu'est-ce que la Corse ? Que veut dire être Corse ? À ces questions, peut-être y a-t-il autant de réponses que de Corses…
Récit sur l'oppression, réelle ou imaginée, sur l'injustice - là aussi réelle ou imaginée -, Murtoriu est un roman profondément dépaysant et violent, duquel se dégage l'image d'une Corse mythique, le souvenir d'un lieu peut-être légendaire, qui en tout cas n'existe pas (plus). Comme la recherche d'un paradis perdu.
Et ce constat, poignant, que pour aimer la Corse, il faut la quitter ?
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Marc-Antoine Cianfarani est libraire, et poète raté, comme il se définit lui-même. Il est aussi un peu ermite, notamment pendant ces mois d'été où, à l'inverse de la plupart de ses concitoyens, il ferme boutique pour fuir les hordes de touristes qui dénaturent la Corse et se retire aux Sarconi, son hameau natal, perché à mille mètres d'altitude, blotti entre pins et châtaigniers, où il côtoie à l'occasion quelque fantôme, notamment celui de son père, "le Vieux".

C'est en partie sa voix qui nous accompagne dans "Murtoriu", et qui surtout donne au roman de Marc Biancarelli sa tonalité amère et acrimonieuse, en exprimant au fil de jugements mordants et péremptoires, sa vision du monde et de ses contemporains, sous lesquels se devine la douloureuse conscience de la vacuité de son existence.

Haineux vis-à-vis du consumérisme comme du nationalisme, de la corruption comme de l'autorité, il méprise tout autant les dominants que les soumis, le consensus -culturel ou politique- que les idéologies... Rien ne semble trouver grâce à ses yeux, ni les institutions ni les individus.
Il n'est pas vraiment plus complaisant envers lui-même, admettant sa passivité, son absence de révolte face à l'absurdité plombante de ce monde au sein duquel, en être inadapté, il ne trouve pas sa place, nostalgique d'un passé qu'il n'a pas connu, où les hommes, encore insoumis aux diktats de la consommation, de l'argent et de la contestation, vivaient dans une forme de simplicité primaire, et dont Mansuetu, l'ami berger de Marc-Antoine, serait l'un des derniers représentants. En sa compagnie, et celle de Trajan, frère de l'éleveur de chèvres, le narrateur jouit, à l'occasion d'une pêche à la truite dans quelque inaccessible recoin de la montagne corse, de quelques moments hors du temps, à retrouver cette harmonie avec l'environnement que l'inconsistance et la vénalité du monde moderne ont anéanti.

Aux passages dévidés par Marc-Antoine avec un emportement à la fois âpre, gouailleur et caustique, alternent ceux qui mettent en scène Don Pierre, sorte de brute incontrôlable, qui écume la région de sa violence en traînant avec lui un jeune idiot à sa botte, et des incursions dans le passé, qui nous amènent, aux côtés d'un autre Marc-Antoine Cianfarani -aïeul du premier-, sur le front de l'Est en 14-18. Bien qu'ayant apprécié ces dernières, je ne suis pas sûre d'avoir compris le but de ce choix narratif (la grande guerre, avec son industrialisation de la violence et sa portée mondiale, est-elle considérée ici comme le début de la rupture avec un certain mode de vie ancestral, une façon de se situer dans le monde ?), incompréhension confortée par la manière un peu expéditive avec laquelle l'auteur traite ces parties, qui m'ont du coup un peu laissé sur ma faim. Quant aux épisodes évoquant Don Pierre et son pitoyable acolyte, bien qu'ils rejoignent finalement le fil principal de l'intrigue, on peut aussi s'interroger sur leur signification. Symbolisent-ils la preuve qu'une sociabilisation croissante, et un éloignement de plus en plus marqué d'avec son environnement naturel ne prémunissent pas l'homme de la violence (au contraire) ?

Un roman dont la construction narrative m'a laissé un vague goût d'inachèvement, et que j'ai refermé sans trop savoir si je l'avais aimé. Ceci dit, je réalise avec le recul et malgré mes bémols l'avoir apprécié, notamment pour le ton qu'y distille l'auteur, entre amère détresse et férocité...

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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