Picasso, tourné vers sa toile, écarte les bras, l’air de dire : « Voilà, ça, c’est de moi, ma révolte contre l’association sombre Franco-Mussolini-Hitler. » Il savoure, pressentant qu’avec ces trois-là il couvrirait un bon siècle d’engagement d’artiste inattaquable et consensuel. Dora l’admire aussi pour ça, et moi je m’incline.
(pages 75-76)
Mon nez, donc. Là, il ne sent rien. Il inhale un air dont la neutralité fait peur. Comme le silence enfermé dans du silence, cet air fait de particules de néant n’est tout simplement pas.
Il me permet de respirer pourtant, je l’entends dans mes poumons, accomplissant son rôle.
(page 20)
L’actualité et l’Histoire qui travaillent les artistes et les secouent… Il faut mêler les événements, chercher leur sens dans la profondeur du temps. Une violence historique du dehors aurait provoqué une violence hystérique du dedans ? Picasso en est-il conscient ?
Je regarde la lourde porte plus refermée qu’une bouche cousue. Pas la peine d’essayer de l’ouvrir. Ça se voit de là où je suis, mon lit.
Finalement, être dans un dedans en ces temps troubles vaut mieux qu’être dans un dehors, je me dis.
Picasso était fasciné bien plus par la photo qu’il ne voulait l’admettre.
(page 61)
Que dit ce visage à la langue phallique décomplexée, aux yeux exorbités qui me fixent, aux dentelles du bonnet qui retiennent des cheveux comme les dents retiennent une gueule ouverte ? Que peut donc hurler Charlotte Corday, la Girondine, en m’assenant, tous seins dehors, ce coup de couteau de soixante-dix centimètres de long ?
(pages 30-31)
Une force indicible m’aurait donc extrait du dehors. Détourné de mon extérieur pour me cloîtrer dans ce dedans …
Le cheval est devant moi. Fier plus que hautain, il me regarde. Il est la réplique du cheval qu’a esquissé ma mère pour me mettre le pied à l’étrier du dessin à sept ans, à Belgrade, il y a longtemps déjà.
(pages 41-42)
Le dehors, pour chaque artiste, étant son époque, son environnement, familial, social, culturel, politique, géopolitique, l'air qu'il respire aussi et surtout...
A l'opposé, en opposition même, il y a le dedans. Là, nous entrons dans le domaine insaisissable, glissant, fuyant, de la création. Le dedans de l'artiste digère le dehors, le façonne et le recrache.
Je décide de me concentrer sur Rien.