Je pense à Oscar Wilde, comme d'habitude, c'est toujours la même histoire : " Toute la matinée, j'ai corrigé un texte, pour finalement ne supprimer qu'une virgule. L' après-midi, je l'ai rétablie."
Autant je me suis passionné pour cette histoire, autant j'ai souvent été agacé par les remarques personnelles de l'auteur. Pas celles qui concernent les interrogations de Laurent Binet sur le pouvoir du romancier de travestir la réalité des faits historiques, mais celles vraiment personnelles qui le font réagir sur des auteurs qu'il exècre, la beauté des jeunes femmes de Prague, etc. Ces interventions deviennent omniprésentes et parasitent le déroulement du récit qui aurait gagné à être condensé. Il n'en reste pas moins que je me suis passionné pour cette histoire et que j'ai éprouvé l'envie irrépressible d'en savoir plus au cours de ma lecture et une fois la dernière page fermée. Mais encore une fois, c'est plus l'histoire qui m'a enthousiasmé que la style de l'auteur.
Et puis je tombe sur cette phrase de George Sand : " Pauvres laborieux ou infirmes, c'est toujours votre lutte contre ceux qui vous disent encore : Travailler beaucoup pour vivre très mal." "
Cette révélation tardive doublée d'un bon mot ne suffit pas à rattraper une attitude infâme. Saint John Perse s'est conduit comme une grosse merde. Lui aurait dit avec cette préciosité ridicule de diplomate compassé, "un excrément"
Ils ne se bercent pas d’illusions. Ils savent qu’ils n’ont pas une chance sur mille de survivre à la guerre. Mais ils veulent jouer cette chance. Accomplir leur mission par-dessus tout, d’accord. Mais sans forcément se suicider. Pensée terrible.
De virage en virage, les deux hommes, munis de leurs vélos, font et refont sans cesse le trajet du domicile d'Heydrich au Château. Heydrich habite à Panenské Břežany, une petite localité en banlieue, à un quart d'heure de voiture du centre-ville. Une portion du trajet est particulièrement isolée, c'est une longue ligne droite sans aucune habitation alentour : s'ils parviennent à immobiliser le véhicule, ils pourraient abattre Heydrich loin de tous les regards. Ils songent à arrêter la Mercedes à l'aide d'un câble d'acier tendu en travers de la route. Mais ensuite, comment fuir ? Il leur faudrait eux-mêmes une voiture, ou une moto. Or la Résistance tchèque n'en dispose d'aucune. Non, il faut faire ça en ville, en plein jour, au milieu de la foule. Et il leur faut un virage. Les pensées de Gabčík et Kubiš ne sont que courbes et lacets. Ils rêvent du virage idéal. Et ils finissent par le trouver. Enfin, idéal, ce n'est pas exactement le mot.
Il a fallu tricher, parfois, et renier ce en quoi je crois parce que mes croyances littéraires n’ont aucune importance au regard de ce qui se joue maintenant. De ce qui va se jouer dans quelques minutes. Ici. Maintenant. Dans ce virage de Prague, rue d’Holesovice (...).
Cet homme est extraordinairement doué et extraordinairement dangereux. Nous serions stupides de nous passer de ses services. Le Parti a besoin d'hommes comme lui, et ses talents, dans l'avenir, seront particulièrement utiles.
Le 4 février 1942, Heydrich tient ce discours qui m’intéresse parce qu’il concerne l’honorable corporation à laquelle j’appartiens :
« Il est essentiel de régler leur compte aux enseignants tchèques car le corps enseignant est un vivier pour l’opposition. Il faut le détruire, et fermer les lycées tchèques. Naturellement, la jeunesse tchèque devra alors être prise en charge en un lieu où l’on pourra l’éduquer hors de l’école et l’arracher à cette atmosphère subversive. Je ne vois pas de meilleur endroit pour cela qu’un terrain de sport. Avec l’éducation physique et le sport, nous assurerons tout à la fois le développement, une rééducation et une éducation. »
Tout un programme : cette fois, c’est le cas de le dire !
[…]
Ce discours m’inspire trois remarques :
1. En Tchéquie comme ailleurs, l’honneur de l’Education nationale n’est jamais aussi mal défendue que par son ministre. Antinazi virulent à l’origine, Emanuel Moravec est devenu après Munich le collabo le plus actif du gouvernement tchèque nommé par Heydrich, et l’interlocuteur privilégié des Allemands, bien davantage qu’Emil Hácha, le vieux président gâteux. […]
2. L’honneur de l’Education nationale est bel et bien défendu par les profs qui, quoi qu’on puisse en penser par ailleurs, ont vocation à être des éléments subversifs, et méritent qu’on leur rende hommage pour cela.
3. Le sport, c’est quand même une belle saloperie fasciste.
Mais à son arrivée, on lui colla une mitraillette dans les pattes et c'est tout. Une mitraillette anglaise, une Sten. Une arme absolument pas fiable, paraît-il : il suffisait de frapper le sol avec la crosse pour vider tout le chargeur dans les airs. De la saloperie. La Sten c'est une vraie merde, on peut pas dire autrement ! (chap. 9)