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Critique de VincenzoMontella1986


Depuis toujours, Anaïs Nin écrit son journal. Je devrais dire « ses journaux ». En effet, il y a la version officielle, qui peut, sans danger, tomber sous tous les regards et un exemplaire secret où elle se révèle sans fard. Elle rêve cependant de publier un roman, mais ce n'est pas chose aisée à cette époque où les seuls artistes reconnus sont des hommes. On le constate bien lors d'un dîner où son activité créatrice est reléguée à l'arrière-plan : une simple occupation pour bourgeoise désoeuvrée. Un convive résume l'opinion commune : « Vous avez des enfants ? - Non. - Vous allez pouvoir vous y mettre maintenant qu'Hugo (son mari) est bien installé à la banque. »
J'ai bien aimé ce roman graphique. Ce qui m'intéresse en elle, c'est son combat pour la libération féminine, au même titre que ceux de Sand, Colette ou Virginia Woolf (entre autres).
J'ai été attiré par le dessin de Léonie Bischoff, dont j'avais apprécié les adaptations de quelques romans de Camilla Läckberg.
Je dois dire que par son aspect graphique, cet ouvrage est une splendeur. Je ne sais pas combien de temps Léonie Bischoff y a consacré, à mon avis, plusieurs années !
La technique est tout à fait originale. Elle dessine avec un crayon à mine multicolore aux dominantes bleu-vert-pourpre. Dès les premières planches, on a le souffle coupé : une seule vignette a certainement demandé des heures de travail : mer déchaînée, ciel envahi de nuages menaçants évoquant des tresses qui rappellent la chevelure impressionnante du double d'Anaïs, l'âme de son journal secret, j'imagine, dont les boucles de gorgone figurent l'imagination tortueuse de l'auteure. Ballotté sur les lames déchaînées, un minuscule esquif va se fracasser sur des rochers, tout comme Anaïs, écroulée sur le parquet parmi des feuillets épars : la création est houleuse et térébrante.
Ce ne sont que les deux premières pages. Léonie Bischoff a l'art d'utiliser mille allégories qui permettent de se figurer l'esprit tourmenté d'Anaïs Nin.
Les vignettes sombres et chargées alternent avec d'autres, très claires et dépouillées. Un univers onirique, parfois cauchemardesque se déploie, fourmillant de symboles tantôt délicats, tantôt inquiétants (fleurs, papillons, yeux, miroirs...) Quelques planches, sulfureuses, sont réalisées à l'aide de ces papiers noirs qui révèlent des couleurs lorsqu'on les gratte. Un moment tragique est rendu par des traits anarchiques dans des tons sombres et froids.
J'aime beaucoup les croquis évoquant le flamenco, où les silhouettes semblent esquissées sans lever la pointe du papier. Elle sont tellement vivantes, animées, qu'on a l'impression de voir évoluer la danseuse.
Ce que je n'aime pas, en revanche, c'est la personnalité d'Anaïs Nin. Sa conception de l'amour est aux antipodes de la mienne. Elle prétend aimer Hugo, pourtant, elle ne refuse aucune expérience sexuelle, même au risque de le désespérer. On le voit effondré après avoir lu quelques pages du journal. Anaïs le rassure : ce ne sont que fantasmes littéraires qui n'ont rien de vrai. Pourtant, la réalité est bien plus vénéneuse. Anaïs n'a pas seulement un double de papier, elle a une âme soeur : Henry Miller, avec lequel elle échange des idées sur un pied d'égalité. Il est également son amant, mais il n'est pas le seul. On dirait qu'elle veut tester toutes les formes de la sexualité, avec tous ceux qui l'entourent : cousin, analystes, amours saphiques ou même incestueuses.
Pour conclure, je dirais que le travail de Léonie Bischoff m'a émerveillé: son album est un pur chef-d'oeuvre. Son adaptation de la vie et surtout de la personnalité intérieure d'Anaïs Nin est remarquable. Mais le personnage lui-même m'a décontenancé et heurté : en même temps fragile, incomprise, pitoyable, torturée, machiavélique, destructrice : elle se sert de ceux qui l'entourent. Des images le montrent bien, qui les représentent, Henry Miller et elle, clouant au mur June (la femme d'Henry), comme un papillon et l'étripant pour se servir d'elle dans leur oeuvre.
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