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Critique de Antyryia



Si la tolérance grandit, si la société a appris à accepter et ne plus juger ou condamner l'homosexualité, notre esprit semble encore la percevoir comme une différence.
Johana Gustawsson l'avait bien montré dans sa magnifique nouvelle "Tout contre moi" dans laquelle deux amants se regardaient intensément, s'enlaçaient amoureusement, leurs peaux réciproquement électrifiées. Et contre toute attente, cette passion magnifiquement dépeinte liait deux hommes. L'auteure voulait ainsi nous montrer que même si nos esprits étaient moins étriqués que par le passé, les lecteurs, auraient encore ce réflexe d'imaginer une étreinte entre deux personnes de sexe opposé.
Vous pouvez retrouver cette nouvelle dans le recueil Regarder le noir, tandis que Christian Blanchard figurera au sommaire de Déguster le noir, à paraître le 08 juin et consacré au dernier des cinq sens : le goût.
J'ai eu la même réflexion au début de Dis bonne nuit. Leïla le Menn, détective privée, travaille pour surprendre le mari de sa cliente en flagrant délit d'infidélité.
"Un adultère n'est plus considéré comme un motif de divorce, sauf s'il porte préjudice à l'autre conjoint."
Et même s'il était écrit noir sur blanc dès le premier chapitre que les retrouvailles concernaient deux hommes, se dirigeant ensuite main dans la main vers un hôtel, je ne l'ai réalisé que plus tard comme si j'étais toujours conditionné à imaginer d'abord des couples hétérosexuels.
Est-ce que ça fait de moi quelqu'un qui manque encore d'ouverture d'esprit ?

A contrario, des esprits étriqués, il en regorge dans ce nouveau roman de Christian Blanchard. Ici représentés par des hommes, des vrais, poilus, machos, virils et profondément misogynes qui font partie de l'association OLPH ( Osons la Libération de la Parole des Hommes ). Des associations masculines dont j'ignorais alors jusqu'à l'existence, soutenus par les catholiques traditionnalistes et par des groupuscules d'extrême droite, et qui se dressent contre ce désir stupide d'égalité entre les hommes et les femmes et leur mouvement #MeToo, devenu symbole du mouvement social féminin du XXIème siècle.
Toutes leurs idées ne sont pas bonnes à jeter puisque pour faire parler d'eux dans les médias, ils feront intervenir un père près à prendre tous les risques pour retrouver son jeune fils qu'il aime profondément, après que la justice ait décidé de confier la garde à sa mère, partie vivre loin de son ex-conjoint désespéré qu'on le prive ainsi de son enfant.
"Je suis un papa. Rendez-moi mon enfant !"
Mais pour le reste, leurs ignobles idéaux donnent la nausée.
Ils sont évidemment contre le mariage homosexuel ou le droit à l'avortement. Leurs idéaux sont d'un autre âge.
"Donnons aux femmes un endroit où elles peuvent s'exprimer sans contrainte, la cuisine ! "
"Vous, les femmes, vous avez pollué notre atmosphère avec des revendications naïves et stupides."
"Seuls les pédés ne sont pas misogynes, mais sont-ils seulement des hommes ?"
C'est ce que certains d'entre eux vont s'acharner à prouver en tout cas, prenant tous les risques. Comme si se mettre en danger était un quelconque signe de virilité pour ces homosexuels à la personnalité refoulée.

Christian Blanchard fait partie des auteurs que j'apprécie énormément, et son roman Antoine demeure une de mes meilleures lectures 2021. Lisez-le si vous appréciez particulièrement les romans noirs, il secoue et je m'en souviendrai toujours.
J'espérais renouer cette année avec un livre qui m'apporterait autant d'émotions, mais force est d'avouer que Dis bonne nuit m'a beaucoup moins impacté. Je l'ai suffisamment apprécié pour en lire ses 250 pages quasiment d'une traite, mais si ce roman noir se lit aussi bien qu'un thriller, ce n'est pas le roman que je préconiserais le plus pour partir à la découverte du prolifique auteur breton. Ça faisait longtemps d'ailleurs qu'il n'avait pas repris sa région comme théâtre de ses intrigues, et celle-ci nous ramène à Rennes.
Avec ce nouveau livre, beaucoup de petites choses m'ont soit chagriné, soit échappé, et le plaisir s'en est forcément retrouvé impacté.
- le roman est d'autant plus court qu'il parle pour moitié de l'enquête de Leïla et de son compagnon Matthieu autour d'une disparition suspecte et de cette association machiste. L'autre moitié est quant à elle consacrée au traumatisme de Leïla, qui remonte à l'enfance, et qui prend ses origines bien avant le suicide de sa mère, quand elle avait dix-huit ans. Un passé trouble qui explique son besoin d'indépendance et de liberté, sa peur de l'engagement. Et sur lequel le voile sera progressivement levé.
Le lien entre les deux trames ? Ils sont si minimes qu'on pourrait les qualifier d'inexistants. Ils concernant uniquement l'héroïne, Leïla, certaines de ses connaissances, ou encore la bague qui sombre dans l'eau claire de la magnifique couverture. Les corrélations sont vraiment ténues et si le personnage de Leïla est extrêmement bien travaillé, les autres manquent un peu de profondeur à l'instar de l'ensemble de l'oeuvre.
- Que ce soit pour une intrigue ou pour l'autre, le roman se conclura sans surprise majeure.
- Et puis ce qui m'a le plus gêné je pense c'est que je n'ai pas vraiment compris où l'écrivain souhaitait en venir. Christian Blanchard est un auteur engagé, qui fait réfléchir, mais j'ai un gros doute sur la nature des messages qu'il a voulu transmettre cette fois. Violer et tuer c'est pas bien, jusque là je suis d'accord. Les homosexuels peuvent l'être par haine du sexe opposé ? Je ne crois pas qu'on choisisse son orientation ainsi. Une personne gay peut être à l'exact opposé de l'image maniérée et fragile qui a autrefois été véhiculée ? le rejet familial, celui de la société, est-il responsable de la violence et de la montée d'idéaux fascistes ?
"Il cherche à repousser toujours plus loin la frontière avec la mort."
Oui, un gay peut être dix fois plus viril et téméraire que moi, je ne fais pas un concours.
Les seules vérités qui m'ont sauté aux yeux ici sont :
- L'acceptation primordiale de la sexualité de son enfant, quelle qu'elle soit. Dans le roman c'était une autre génération mais il ne faut pas se voiler la face et pour certains parents la déception ou le rejet d'un enfant homosexuel est toujours d'actualité. Et les répercussions peuvent avoir lieu tout au long d'une vie. Ici, se mettre en danger constamment pour se prouver à soi-même comme aux autres que masculinité imaginaire et orientation sexuelle ne sont pas liées.
- le danger de chaque mouvement protestataire qui engendrera toujours son contraire, comme si l'harmonie, la tolérance ou l'égalité resteraient à jamais du domaine utopique dans notre belle humanité.

Dis bonne nuit est un livre qui se dévore, à la plume délicate qui sait insinuer les pires horreurs avec la plus grande délicatesse, avec des mots minutieusement choisis.
Mais je reste un peu sur ma faim : trop d'évidences dans des intrigue peu étoffées et très peu dans les dangers pointés du doigt par l'auteur.
Petit plus : les références à Glenn Affric de son amie Karine Giebel, ou à Sandrine Collette. Ainsi qu'à de nombreux groupes de metal qui parsèment souvent le genre du polar j'ai l'impression, et qui sont pour moi autant de clins d'oeil : ici Rammstein, Iron Maiden, Motörhead et même le groupe de black metal autrichien Summoning qui puise son inspiration dans l'univers d'un certain Tolkien.
Une petite déception donc, mais il était difficile d'égaler la qualité d'un roman tel qu'Antoine qui m'avait laissé pantois l'an passé, dans le meilleur sens du terme.

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