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Citations sur Azur noir (16)

la gare de l’Est demeurait la plus belle de Paris, selon Léo, avec son immense vitrail en rosace, sa galerie de colonnes et d’arceaux comme celle d’un cloître, ses deux ailes, qui en faisaient un étonnant mélange de basilique et de temple, de cathédrale et de château. Rien n’avait changé, surtout pas la grande esplanade pavée qu’il fallait traverser en évitant les fiacres. Léo, qui s’était assis contre une colonne et avait fermé les yeux pour les voir, aperçut les deux poètes s’approcher de lui, dans l’air pur et sous le ciel bleu de ce mars encore frais où voltigeait une nuée d’étourneaux. Verlaine en chapeau râpé, peut-être un peu ivre, faisait valser sa canne, un pas devant lui Rimbaud plus ébouriffé que jamais, vêtu du manteau dessiné par Gavroche, portait à l’épaule un sac de toile qui devait contenir quelques livres, quelques vêtements usés, des carnets et des feuilles éparses couvertes de son écriture d’écolier si sage. Il avait donc fallu qu’il reparte, Paris n’en avait pas voulu ni encore moins Mathilde qui, pour éviter une séparation définitive, revenir et reprendre une vie commune, l’avait exigé. Verlaine avait cédé, il l’aimait encore, ou du moins s’efforçait-il de le croire pour ne pas se rendre à l’évidence qu’il avait surtout besoin du nid rassurant de la rue Nicolet.

Même dans la gare, l’ange en exil qui retournait dans sa province marchait trop vite pour Verlaine qui peinait à le suivre, avait peur de le perdre dans la foule des voyageurs. Ils étaient en avance, pourtant, mais Rimb fulminait d’avoir été chassé et surtout ne voulait plus l’entendre, celui à qui il avait tout donné, son seul frère, son seul père et son amant des nuits d’ivresse. Sur tout le chemin de la gare, Verlaine lui avait répété qu’il le ferait revenir, bientôt, sûrement, qu’il fallait juste un peu de patience, attendre le bon moment, dès que Mathilde se serait calmée. Mais cela n’arriverait jamais, avait répondu le diable, cette fille l’empêcherait de vivre et d’aimer, c’était elle et son fils qu’il devait abandonner s’il voulait vivre libre et voir avec lui les enchantements du monde. Maintenant il ne supportait plus d’entendre ses explications, ses raisons, ses protestations quand il lui avait demandé s’il l’aimait encore autant qu’il l’avait aimé. À cet instant, seul Léo savait que le Verlaine tiendrait sa promesse, qu’il ferait en mai revenir le diable, lui louerait une chambre rue Monsieur-le-Prince, qu’il quitterait pour lui Mathilde et son fils en juillet, qu’ils s’enfuiraient ensemble, vivraient à Bruxelles, à Londres, que le poète ivrogne irait en prison par amour pour l’ange, qu’ils ne se quitteraient pour toujours que trois ans plus tard.

Au moment où Rimbaud montait dans le wagon, Verlaine le retint par la manche pour au moins l’étreindre et quand le diable se retourna, une fois encore il fut ébloui par le soleil de ses yeux bleus et de ses joues roses où affleurait désormais un duvet blond, et reçut le baiser qu’il lui donna sur la bouche, sans gêne au milieu des voyageurs, et le sourire cruel qui l’accompagna, comme deux lames de couteau dans sa poitrine. L’enfant sauvage dans le wagon derrière la vitre et le poète parisien sur le quai ne se quittèrent pas des yeux jusqu’au départ, dans le tumulte qu’ils n’entendaient pas des portes claquées et des coups de sifflet. Léo vit qu’à l’instant où le train s’ébranlait dans le grincement cadencé de ses bielles, Verlaine avait sorti un mouchoir et s’essuyait les yeux.
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vos yeux, ils sont baignés de soleil, la lumière y danse comme des scintillements sur l’eau
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Tu es un ange, vraiment, tu es un ange, je me demande d’où tu viens, on dirait que tu descends d’une montagne de conte de fées avec des neiges éternelles, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui donne une telle fraîcheur, c’est ton âge, bien sûr, tu es tout neuf, c’est ta peau, quelque chose d’immaculé comme la neige, et tes yeux comme une glace bleue d’iceberg, et ta voix, ce timbre comme un cristal fendu, je n’ai jamais fait l’amour avec une telle voix, je n’ai eu que des voix d’hommes qui avaient trop parlé, trop menti, je ne peux plus supporter ces voix, ces voix si sûres d’elles, graves et qui ne tremblent jamais, surtout quand elles te font souffrir, surtout quand elles te tuent, elles me font peur, depuis toujours elles me terrorisent, je m’en suis rendu compte l’autre jour avec toi, je les ai toujours détestées, et autant que ta voix j’aime ton silence, et ta timidité, ta peur, ce petit tremblement dans mes bras l’autre jour tu ne peux pas savoir comme je l’ai aimé, et j’aime cette façon que tu as de conjurer la fin du monde en devenant aveugle, en fermant les yeux, tu ne pourras jamais soigner ça, c’est une armure, tu traverseras les flammes de l’enfer intact dans ta fraîcheur comme un ange en fermant les yeux, depuis l’autre jour je n’arrête pas de penser à ça, à toi, nu, comme je t’ai rencontré dans la cour, aveugle au soleil qui se levait avec ses rayons mortels, toi si fragile et si fort et j’ai tant aimé ton corps contre moi
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la rime muet muait
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Qu’après un siècle d’une gloire qu’il n’avait pas voulue le poète demeure à ce point incompris, non pas quant au sens de certains vers dont on pouvait déceler l’origine et la raison, mais quant à l’énergie formidable qui les avait forgés, celle d’un petit démon sans père, né d’une mère ne sachant aimer, ayant accompli seul tous les possibles de l’enfance, inventé tous les trésors de la liberté d’être seul au monde, sans aucune chaîne, buissonnier, fugueur infatigable, misérable clandestin, et qu’un acteur célébré n’ait pas saisi cette enfantine énergie de magicien de contes de fées, cela laissait intacte et secrètement délectable, à certains dont lui, toute la richesse de ses enchantements.
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Ne vous inquiétez pas pour vos yeux, ils sont baignés de soleil, la lumière y danse comme des scintillements sur l’eau. Ces yeux-là verront toujours.
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