Le tombeau de Tommy

Les archives... contiennent des trésors inestimables mais rangés au hasard de classements énigmatiques dans l'abandon des encres qui s'effacent et des papiers qui se déchirent.

Il ne faut pas tout expliquer dans un film. La réalité, elle, ne vous explique jamais tout.

On lit dans le sourire de Wajsbrot de l'admirationpour son chef mais aussi, très probablement, un bonheur. Celui de se trouver à ses côtés, après trois mois d'isolement peut-être, comme si sa seule présence suffisait à oublier tous les malheurs et la mort qu'il savait proche. Ce sourire est un bonheur et une provocation. Un bras d'honneur à la criminelle crétinerie nazie, à cette machine à tuer si obstinément bête qu'il fallut l'anéantir pour qu'elle s'arrête. En ce sourire rayonne aussi toute la beauté de la vraie jeunesse, qui peut mourir par admiration, par amour, par justice, dans l'euphorie d'un sacrifice. Ce sourire d'un Juif d'autrefois, j'en ai la nostalgie. Et ce sourire m'émeut, aussi, car le même jour, ou la veille, ou le lendemain, Sarah Danciger fut poussée dans un wagon plombé à destination d'Auschwitz. Wajsbrot ne pas pouvait le savoir. Son sourire d'enfant, son sourire du plus beau de l'homme, est une lumière dans la nuit d'horreur que d'autres hommes, ivres d'instincts animaux, font tomber sur le monde.

Il n'était pas pensable de signaler les victimes "collatérales", seuls des "Boches" et des collabos tombaient sous le feu des partisans. Même les livres d'histoire demeurent silencieux sur ce sujet délicat, comme si toute la vérité n'était pas bonne à dire, comme si tous les soldats allemands méritaient mieux de mourir qu'un passant innocent, comme si les résistants ne lésaient que le Mal, comme si les désigner tels des guerriers sans pitié allaient les rendre moins héroïques, moins indispensables à l'humanité. L'héroïsme n'est pas nécessairement une chevalerie, encore moins une sainteté. Aussi je m'étonne de n'avoir lu dans aucun livre d'histoire, ni dans aucun livre de souvenirs, par exemple, que l'attentat manqué contre le général Schaumburg, commandant du Grand Paris, commis le 28 juillet 1943 par l'équipe spéciale des F.T.P.-M.O.I. (Léo Kneler, Marcel Rayman, Spartaco Fontano, Raymond Kojitski), n'ait fait qu'une seule victime, un motocycliste français qui se rendait à son travail, tué par l'explosion.

La vérité des hommes est toujours plus belle, plus mystérieuse, que la fiction convenue.