J’appréhende la France maintenant que je vais l'aborder, la connaître, poser mon pied sur elle. France tant aimée, tant exaltée par mon père et les messieurs blancs, même les missionnaires à grandes barbes. France inconnue dont on m'a empli le cœur, patrie douce, magnifique, merveille jusqu'alors trop lointaine, mère du monde, berceau des Arts et des Lettres, beauté de la grandeur guerrière, songe d'orgueil.
Terra incognita...
Je suis sorti de ma chambre, j'ai ouvert sa porte. Elle dormait et je l'ai contemplée longtemps... jusqu'à ce que ses yeux s'ouvrent, ses yeux étirés. C'est moi qu'elle aperçoit. Son petit garçon, en chemise de nuit, qui se tient sur la pointe de ses pieds nus et qui, de ses propres yeux la regarde.
Je vois Anne-Marie, un peu mécontente. Elle me questionne:
-Pourquoi es-tu dans ma chambre? Ton regard m'a réveillée.
J'ai peur d'être surpris. Ma mère poursuit ses soins maniaques dans la salle de bain. Cela devient monotone, répétitif. Je devine ce qu'elle fait. Elle se lime ses ongles d'orteils avant de les enduire d'un vernis pâle, qui leur laisse leur coloration naturelle.
[A sa mère]
Je me méfie de toi et c'est pour cela que je suis sournois, dissimulé...Je me méfierai toujours de toi, même si je sens que je suis toi, à toi, pour l'éternité.
Ce baiser, elle le reçoit sans dégoût, sans reculer sa tête, sans s'envelopper d'ennui. Albert toussote de contentement. Pauvre homme. Je sais qu'elle s'apprête à le duper. Elle n'est gentille avec lui que par calcul.
J'ai appris que l'existence est dominée par les malentendus, qu'ils en sont le poison essentiel.
Elle est heureuse, mais est-ce que je fais partie de son bonheur ?
(...) j'étais, sans le savoir, le jeune chevalier servant d'une femme que la convoitise avait fait sortir de son ennui. (à propos de la relation du petit Lucien à sa mère)
(,,,) en Chine, même le plus misérable coolie traîne un coin de philosophie.