Cette semaine, elle n'a pu montrer sa souffrance à personne, surtout pas à ses parents.
Ils ont perdu un fils, mais moi qu'ai-je perdu ? s'énerve-t-elle . Il n'y a aucun mot pour désigner son état. Elle n'est ni orpheline, ni veuve. Juste amputée de son frère et de leur enfance.
La douleur physique n'est rien par rapport à ce qui me passe par la tête. [...] Ce dégoût que j'ai de moi, de ma vie d'avant, de mes certitudes idiotes de première de la classe, je dois l'exorciser dans l'ordure.
Il n'arrive pas à lui tendre la main. On aimerait partager le deuil de l'autre (à défaut de l'alléger) mais on n'y arrive pas. En couple, on n'aime ni ne souffre jamais au même moment. Quand Pierre a besoin de s'épancher, Laura semble un peu mieux et il craint alors de l'attrister. Quand elle sombre dans la déprime, il cherche à la divertir, mais elle est hors d'atteinte et lui file entre les doigts.
Et si la mort avait tué la magie des mots, incapables à l'aider à voir ce qui s'est passé?
Alexandre, ça ne se voyait pas, mais ton frère était très malheureux.....
Parfois, quand on a trop de chagrin, quand ce chagrin ne passe pas, on a envie d'arrêter de vivre.
C'est ce que ton frère a fait.
Je te crois pas! Crie Alexandre en se levant. Tu es un menteur. Tu m'avais dit qu'il avait eu un accident!
Il martèle de ses poings la poitrine de son père qui se laisse frapper.
Parfois, le secret, c’est tout ce qui nous reste.
Elle est restée pour regarder pousser des ailes dans la tête de son frère et lui maintenir les pieds sur terre.
Deux cents personnes attendent, recueillies, le début du service. La famille est venue des quatre coins de France. Les cousins de Denis se sont regroupés autour de Diane. Plus loin, une petite armée de jeunes en costume : la classe de Denis, première année de prépa aux Écoles de commerce. Pierre reconnaît quelques têtes. Denis avait l'habitude d'inviter ses copains après les cours. Aujourd'hui, tous semblent plus mûrs, presque adultes. Cinq jours auparavant, ils se croyaient immortels.
Dormir, c’est mourir un peu.
Pierre a pris rendez-vous, comme le lui conseillent ses amis. Devant la porte, il hésite. En quoi le déballage de son malheur chez un parfait inconnu pourrait-il l'aider à vivre avec ce trou par lequel a fui son bonheur ?