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Citations sur Etoile distante (14)

Il était une fois un enfant pauvre du Chili... L'enfant s'appelle Lorenzo, je crois, je ne suis pas sûr, et j'ai oublié son nom, mais beaucoup de gens doivent s'en souvenir, et il aimait jouer et grimper aux arbres et aux pylônes de haute tension. Un jour, il grimpa à l'un de ces pylônes et reçut une décharge si forte qu'il perdit ses deux bras. On dut les lui amputer presque jusqu'au niveau des épaules. Lorenzo donc grandit non seulement au Chili et sans bras, ce qui en soi rendait sa situation assez critique, mais en plus dans le Chili de Pinochet, ce qui rendait n'importe quelle situation désespérée, mais ce n'était pas tout, car il découvrit rapidement qu'il était homosexuel, ce qui transformait la situation désespérée en inconcevable et indescriptible.
Avec toutes ces prédispositions, rien d'étonnant à ce que Lorenzo devint artiste. (Qu'est-ce qu'il aurait pu faire d'autre?)
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Bref, comme dit Bibiano en citant Parra, ainsi passe la gloire du monde, sans gloire, sans monde, sans un misérable sandwich à la mortadelle.
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Le jour où on ne le vit plus déambuler dans les rues de Concepción, ses livres sous les bras, toujours mis avec soin (au contraire de Stein qui s’habillait comme un clochard), sur le chemin de la faculté de médecine ou en train de faire la queue devant un théâtre ou un cinéma, quand il s’évanouit dans l’air enfin, personne ne le regretta. Pas mal de gens se seraient même réjouis de sa mort. Non pour des raisons strictement politiques (Soto était un sympathisant du parti socialiste, mais seulement cela, un sympathisant, même pas un électeur fidèle, je dirais que c’était un gauchiste pessimiste), mais pour des raisons d’ordre esthétique, pour le plaisir de voir mort quelqu’un de plus intelligent et de plus cultivé que soi, et à qui manque la finesse sociale de le cacher. Écrire ceci maintenant peut passer pour un mensonge. Mais c’était ainsi, les ennemis de Soto auraient été capables de lui pardonner même ses mots les plus acerbes ; ce qu’ils ne pardonnèrent jamais, ce fut son indifférence. Son indifférence et son intelligence.
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"Le silence est pareil à la lèpre", déclara Wieder, "le silence est pareil au communisme, le silence est pareil à un écran blanc qu'il faut noircir. Si tu le noircis, plus rien de mal ne peut t'arriver. Si tu n'as pas peur, rien de mal ne peut t'arriver." D'après Bibiano, c'était la description d'un ange. Un ange cruellement humain, demandai-je ? Non, espèce de con, répondit Bibiano, l'ange de notre malheur.
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La première fois que j’ai vu Carlos Wieder ce devait être en 1971 ou peut-être en 1972, du temps où Salvador Allende était président du Chili.
À cette époque-là il se faisait appeler Alberto Ruiz-Tagle et fréquentait parfois l’atelier de poésie de Juan Stein, à Concepción, la capitale du Sud, comme on dit. Je ne peux pas dire que je le connaissais bien. Je le voyais une ou deux fois par semaine, quand il venait à l’atelier. Il ne parlait pas énormément. Moi oui. La plupart de ceux qui venaient parlaient beaucoup : pas seulement de poésie, mais de politique, de voyages (et personne n’imaginait en ce temps-là ce qu’ils seraient plus tard), de peinture, d’architecture, de photographie, de révolution et de lutte armée ; cette lutte armée qui devait nous amener des temps nouveaux et une vie nouvelle, mais qui, pour la plupart d’entre nous, était une sorte de rêve ou, plus exactement, une sorte de clé qui nous ouvrirait la porte des rêves, les seuls qui justifiaient la peine de vivre.
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Le secret consiste à offrir aux gens qui n'ont pas beaucoup de moyens des funérailles dignes, j'irai même jusqu'à dire d'une certaine élégance (pour ça, les Français, vous pouvez me croire, sont les meilleurs), un enterrement de bourgeois pour la petite bourgeoisie et un enterrement de petit-bourgeois pour le prolétariat, voilà le secret de tout, et pas seulement des entreprises de pompes funèbres, mais de la vie en général !
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Une minute ne s'était pas écoulée lorsque Tatiana von Beck ressortit. Son visage était pâle et décomposé. Elle regarda Wieder - on aurait cru qu'elle allait lui dire quelque chose mais qu'elle ne trouvait pas les mots - et puis elle essaya d'atteindre la salle de bains. Elle n'y parvint pas. Elle vomit dans le couloir et tout de suite après quitta en chancelant l'appartement, aidée par un officier qui s'offrit galamment à la raccompagner chez elle, malgré les protestations de la jeune femme qui aurait préféré partir seule.
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De fait, l’appartement que Defœ occupe appartient à l’un des écrivains de son mouvement. Pauvre Defœ, dis-je. Romero me regarda comme si je venais de dire une sottise. Ces gens-là ne me font pas pitié, dit-il. Maintenant l’édifice était là : haut, large, vulgaire, la construction classique des années de croissance touristique, avec des balcons vides et une façade anonyme et mal entretenue. Personne n’habitait là-dedans sans doute, c’était ma conclusion, des rescapés de l’été dernier, et pas grand monde d’autre. J’insistai pour connaître le sort réservé à Wieder. Romero ne me répondit pas. Je ne veux pas qu’il y ait de sang, réussis-je à marmonner entre mes dents, comme si quelqu’un avait pu m’entendre, bien que nous fussions les deux seules personnes à passer dans la rue.
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Les relations de l’art avec le mal sont nombreuses. Ou du mal avec l’art. J’ai connu quelques incarnations du mal. Il y a un mal que nous dirons ordinaire. Un mal d’ordre psychologique, un mal causé auquel nous nous heurtons tous les jours. Un mal lâche, bien que tout mal par définition soit lâche. Mais il y a aussi un mal courageux. Un mal qui se transcende à lui-même. Un mal qui peut même aller jusqu’à nous paraître extra-terrestre. L’altérité totale ! Un mal qui continue l’épique et le tragique, mais qui en réalité constitue le blindage parfait. Pour ne pas employer les termes de valeur et lâcheté, nous dirons qu’il y a un mal froid et un autre chaud
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En 1968, alors que les étudiants élevaient des barricades et que les futurs romanciers français brisaient à coups de brique les fenêtres de leurs lycées ou faisaient l’amour pour la première fois, il décida de fonder la secte ou le mouvement des Écrivains Barbares. C’est ainsi que, pendant que les intellectuels s’emparaient des rues, l’ancien légionnaire s’enferma dans sa minuscule loge de concierge de la rue Des Eaux et commença à donner forme à sa nouvelle littérature. L’apprentissage se déroulait en deux temps apparemment simples. L’enfermement et la lecture. Pour la première étape il était nécessaire de faire des provisions pour une semaine, ou alors de jeûner. Il était aussi indispensable, pour éviter les visites inopportunes, d’avertir que l’on n’était disponible pour personne, ou bien que l’on partait en voyage pour une semaine ou que l’on avait contracté une maladie contagieuse. La deuxième étape était plus compliquée. D’après Delorme, il fallait se fondre avec les œuvres maîtresses. On y parvenait d’une manière extrêmement étrange : en déféquant sur les pages de Stendhal, en se mouchant avec des pages de Victor Hugo, en se masturbant et en répandant le sperme sur les pages de Gautier ou Banville, en vomissant sur les pages de Daudet, en urinant sur les pages de Lamartine, en se coupant avec des lames de rasoir et en éclaboussant de sang les pages de Balzac ou de Maupassant, en soumettant, en somme, les livres à un processus de dégradation que Delorme appelait humanisation.
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