AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de mfrance


Riche et passionnante étude des destins croisés de Paul et Camille, les deux génies de la famille Claudel, les autres membres, parents et soeur, vivant tous dans la plus parfaite conformité bourgeoise, le père ayant eu pourtant l'intelligence d'aider ses deux enfants dans leurs choix artistiques. Pour tous les deux, le talent et la passion, pour elle la sculpture et pour lui la poésie.
Paul et Camille sont de tempérament identique, tous deux entiers, passionnés, elle violente et moqueuse, mais pleine d'humour, lui rêveur et passionnément attiré par le lointain, la mer.
La vie se famille se passe dans une ambiance détestable, où tout le monde se chamaille, y compris Camille et Paul, malgré leur entente et leur profonde affection.
Mais leur chemin de vie débute de la même façon. "Ils ont été l'un et l'autre foudroyés, Paul par la Foi et par la Poésie, Camille par l'Art et par l'Amour" écrit Dominique Bona.
Avant l'installation de Camille au "Dépôt des marbres" l'atelier de Rodin le frère et la soeur partagent énormément de choses. Dès que la jeune femme fréquente Rodin, ce bel équilibre entre eux est rompu. Paul, relégué au second plan, devient jaloux de Rodin et Camille n'est plus rien d'autre que la traîtresse ! Tous les drames claudéliens, avec leur sens du verbe et de la démesure, seront des histoires de trahison.
Paul Claudel éprouve une véritable haine envers Rodin alors que leurs nombreux goûts communs auraient dû sceller leur entente. Il n'hésite pas à assassiner Rodin dans ses écrits, traitant son oeuvre de "carnaval de croupions" et décrivant l'homme tel un sanglier, affublé d'un groin !
Il s'éloignera de plus en plus de sa soeur, d'autant que sa carrière de diplomate qui va l'entraîner à travers le monde, ne favorisera pas leurs retrouvailles !

On peut rester estomaqué par la brutale conversion de Paul Claudel, qui se disait agnostique, simplement en écoutant à 18 ans le Magnificat le soir de Noël 1886 à Notre-Dame de Paris, cette conversion aboutissant à une répugnante bigoterie, d'où toute notion de charité véritable est bannie, ce qui explique la condamnation de la conduite de sa soeur Camille, qui a commis, aux yeux de son frère, l'abomination d'entretenir une liaison adultérine avec Auguste Rodin !
La vierge « image idéale et sublimée » de la femme renvoie Camille à sa condition de pécheresse et pour ce catholique rigoriste la situation d'adultère de Camille n'est pas conforme aux exigences chrétiennes.
Certes, lui est resté pur jusqu'à l'âge de trente ans !!! ... mais il a tout de même jeté sa gourme en entretenant durant cinq ans une liaison torride avec une femme mariée, le seul véritable amour de sa vie avec celui qu'il portait à sa soeur. (Cette aventure formera la trame de sa pièce "Partage de midi".)
Il se trouve donc remarquablement placé pour juger de la conduite de cette dernière !

Dominique Bona s'attarde longuement sur la vie créative de Camille, l'éclosion et l'épanouissement de son talent ardent et sensuel avec la Valse, Sakountala, les Causeuses ...
sur sa collaboration avec Rodin dans l'atelier de celui-ci où elle participe, entre autres, à l'élaboration de cette oeuvre monumentale qu'est les bourgeois de Calais, ou encore la porte de l'enfer,
et sur sa liaison passionnée de dix ans, à laquelle elle mettra un terme, ne pouvant obtenir de lui ce qu'elle désire. En effet, celui-ci, bien que très amoureux de Camille, n'entend pas renoncer à son existence de Don Juan volage, en outre nanti d'une maîtresse depuis vingt ans.
C'est elle donc qui mettra fin dans la douleur à cette liaison dont elle ne supporte plus la souffrance, mais cet acte de mutilation va ruiner son existence, elle ira jusqu'à détruire une partie de ses oeuvres, altérer sa santé .... et développer en elle la paranoïa qui justifiera, aux yeux de sa famille, son incarcération, décidée par sa mère, dès le décès du père !
Certes, Camille était atteinte de maladie mentale, mais au bout de cinq ans les médecins jugèrent qu'elle pourrait parfaitement vivre en famille, ce que sa mère a énergiquement refusé, allant même jusqu'à lui refuser le moindre contact avec l'extérieur !
Quant à Paul, après la mort de sa mère, il aurait pu adoucir le sort de Camille .... mais il n'en a rien fait. N'a t-il pas lui-même sa responsabilité dans la déchéance de sa soeur ?

Le parallèle établi par Dominique Bona entre l'existence de Camille et celle de son frère Paul met cruellement en valeur le sort réservé à cette jeune femme talentueuse, violente et passionnée.
A lui les voyages, une nombreuse famille, les honneurs, Monsieur le Consul puis Monsieur l'Ambassadeur, le succès, une existence dorée, un château empli des cris et des rires des petits-enfants.... et des obsèques nationales !
A elle, trente ans de réclusion dans un asile sans confort, accompagnée des hurlements de malades, sans aucune sortie, sans recevoir de visites, en dehors de la douzaine que lui rendra son frère durant ce laps de temps (!!) et une mort solitaire suivie d'une inhumation dans une fosse commune ... mais elle trouvera moyen de conserver humour et intelligence, gardera sa tendresse pour ce frère indigne, confit dans son catholicisme étroit et répugnant, et ses derniers mots seront pour lui, son petit Paul, comme elle l'appelait !
On sent la compassion de l'auteur pour ce destin brisé. Quant au lecteur, il se retrouve bouleversé d'horreur par tant d'injustice, de dureté, jusqu'à développer une haine farouche envers ce parangon d'hypocrisie que fut Paul Claudel, manifestant un parfait manque d'humanité.
Et c'est vraiment facile que d'avoir simplement écrit dans son journal : "Amer, amer regret de l'avoir abandonnée !"

Commenter  J’apprécie          183



Ont apprécié cette critique (17)voir plus




{* *}