— C’est quoi, communiste ? demanda Arnaud, qui avait déjà entendu ce mot toutefois obscur.
— Je sais pas, répondit Lilly. Ici, beaucoup de gens sont communistes. Je sais que Paul crache par terre quand il passe à côté du curé ou de M. Charron.
Arnaud aurait bien voulu être communiste pour avoir le droit de cracher chaque fois qu’il en avait envie.
Du regard, Marguerite Bussières examinait le gamin de la tête aux pieds comme un marchand de bestiaux l’aurait fait avec une vache.
— On se connaît pas. C’est comme ça ! Suis-moi.
Arnaud emboîta le pas à Marguerite.
— Mais qu’est-ce que tu as à la jambe droite ? demanda la femme en se tournant vers le garçon qui peinait à la suivre.
Arnaud baissa la tête, honteux.
— C’est un pied bot, madame.
— Un pied bot ! Où es-tu allé chercher ça ? Et puis ne m’appelle pas madame, je suis ta grand-mère.
— Et comment je dois vous appeler ?
— Ça n’a pas d’importance.
« —— Mais pourquoi veux- tu que je chante tout le temps?
L’homme leva vers lui ses yeux sombres et se gratta les cheveux sous sa casquette .
———Je sais pas . Ça me met de la lumière dans la tête.
Je vois des fleurs partout , et pas des fleurs comme celles - là,non, des fleurs tellement grosses et tellement belles qu’elles ne peuvent pas exister ! »
Tout le monde avait hâte d’entendre la merveilleuse voix du boiteux et il se sentait fier parce que ce n’était pas son pied qu’on lorgnait.
Les souvenirs ont plus d’importance que tout le reste.
À cet instant ultime de sa vie, Paul comprenait qu’il avait sacrifié deux vies pour un idéal dont il n’était plus certain.
Je t'attendrai ce soir à notre clairière. Mon père s'est encore mis en colère. Il m'interdit de te rejoindre, rassure-toi, je ne l'écouterai pas. C'est toi que je veux, toi que j'aime par dessus tout, plus rien ne compe au monde.
Arnaud rangea la feuille dans la caisse, avec l'impression d'avoir violé un secret, d'être rentré dans une tombe et d'avoir réveillé ce qui devait dormir pour toujours.
Un maçon qui se sert de son marteau pour casser, pour mettre en forme est un mauvais maçon. Le marteau, il faut l’utiliser le moins possible. Des fois, tu peux pas faire autrement, mais tu dois réfléchir avant de taper.
Cette inertie de Paul, son refus d’affronter ce qui était à l’origine des malheurs… Paul éliminait tout ce qui ne lui convenait pas, tout ce qui n’allait pas dans son sens.
Il voyait encore les hommes en imperméable beige pousser sans ménagement sa mère dans une voiture.