D'après le titre et la couverture, je m'attendais à un conte, peut-être à un roman fantastique ou un policier, ce qui ne m'inspirait pas trop. Mais l'annotation écrite sur la page de garde du livre par une de ses précédentes détentrices m'a décidée : « Offert par Mme Mas pour ma retraite fêtée le 25 aout 1992 ». A quoi une lecture ne tient-elle pas parfois. Quelle ne fut pas ma surprise cependant de découvrir en commençant ce livre qu'il traitait essentiellement de la fin de vie ! Ou plus précisément d'un vieil homme que sa famille souhaite placer en maison de retraite contre son gré. Sympa le cadeau de départ à la retraite !
Cyprien, le vieil homme en question, vit seul depuis le récent décès de sa femme dans un petit bourg près de Tulle en Corrèze. Ne s'étant jamais occupé des tâches domestiques courantes et atteint d'une angine de poitrine qui le diminue considérablement, ses enfants souhaitent le placer en maison de retraite. Mais Cyprien a un caractère bien trempé, c'est une vraie tête de mule, fier, jaloux de sa liberté et qui tient farouchement à son indépendance. Par certains aspects, il m'a rappelé mon grand-père. Il veut mourir dans sa maison, entouré de cette nature qu'il aime tant, continuer à travailler le bois. Cyprien aura-t-il la force et la santé pour s'opposer à la pression de son entourage ?
L'histoire se déroule 1990, certaines choses se sont améliorées depuis, d'autres au contraire se sont détériorées. J'ai parfois eu l'impression de vivre une époque d'un autre âge. 1990 n'est pourtant pas si loin. En dépit du thème, c'est un livre lumineux et plein de tendresse. La vieillesse est évoquée avec sensibilité, fraicheur même, et l'attachement à la Corrèze transpire à chaque ligne. Les personnages surtout dégagent une authenticité qui rend ce livre très agréable à lire.
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A travers une vidéo sur Babélio, j'apprends que Gilbert Bordes est luthier à Etampes en Essonne. Justement, Il nous fait partager sa passion du bois dans cette histoire, à travers ses personnages de Nicolas et de Cyprien.
Cyprien a un fort caractère qui lui permet de lutter un temps contre la maladie et la vieillesse ; mais il me parait peu sympathique, assez imbus de lui-même, homme autoritaire, « à l'ancienne », d'avant mai 68, qui voulait tout régenter dans la famille, à l'image des chefs de famille d'autrefois : une femme aux petits soins pour lui, et il n'a pas supporté que ses enfants se rebellent et n'acceptent pas les choix qu'il avait fait pour eux. Même à la fin du roman, il est contrarié d'apprendre et de devoir admettre qu'il s'est trompé depuis son enfance sur l'identité des chouettes de nuit, les chats huants, qu'il a pris pour des hiboux ;
Il est blessé également de ne pas être reconnu par cette soi-disant « amoureuse » de sa jeunesse, et il s'entend bien avec cet enfant dont la vie quotidienne est blessé par sa famille, et qui est présenté comme un sale gamin par sa grand-mère, car il est resté très enfant capricieux et très « sale gamin » lui-même.
Je le trouve particulièrement dur et intransigeant avec sa fille « on n'a qu'une vie, on ne peut pas la refaire ! » il l'a chasse de chez lui en la menaçant de son fusil, à chaque fois qu'elle vient le voir et lui donner de ses nouvelles , il la chasse et la rabroue sans entendre sa position de femme qui s'ennuie auprès de son mari et qui ne veut pas vivre étouffée dans son couple. Elle veut vivre pleinement sa vie de femme tout comme Cyprien veut vivre sa vie d'homme libre. Mais ce qu'il estime indispensable et vital pour lui, il le refuse à sa fille car il la juge comme une mère et une épouse avant tout, qui doit se sacrifier pour sa famille et son mari, une femme « à l'ancienne » qui ne peut revenir en arrière et avouer qu'elle s'est trompée. Ce qui est dit dans le roman, c'est que Cyprien lui en veut de n'avoir pas écouté son jugement quand il lui affirmait que son futur mari n'était pas fait pour elle.
J'ai eu du mal à terminer cette histoire que j'ai lu par intermittence, tant ce Cyprien me paraissait antipathique, passionné par la pêche et la chasse aux merles, peu aimable avec cette femme qui veille sur lui, il est méprisant avec ses compagnons de chambrée à la maison de retraite, qui eux ont trouvé des raisons positives de vivre en communauté. Cette maison de retraite est à la campagne et propose aux résidents de garder contact avec la terre et la nature en les laissant planter des PDT et des salades et tailler les arbres fruitiers.
La fin de l'histoire est encore un pied de nez à ses prises de position sur son métier d'ébéniste : « fabriquer des violons…c'est pas du travail ça ! »
Seule sa petite fille, dans laquelle il se reconnait, (ses sautes d'humeur, ses petits yeux noirs, sa façon d'imposer les choses à son entourage, qui décide de reprendre, sans lui demander son avis, son atelier, ses machines et son bois qui vaut une fortune,) peut lui imposer dans la famille un jeune homme qui pourrait être rival de Cyprien, alors qu'il a chassé sa fille parce qu'elle avait émis le souhait de passer un moment dans cette maison de son enfance qui lui revient de droit et qu'elle a remis en état de marche la pendule que Cyprien avait sciemment arrêté, elle seule peut s'imposer dans la vie de Cyprien qu'elle va garder à l'atelier ; l'histoire ne dit pas si Cyprien va accepter que « des étrangers » s'imposent dans sa sphère privée, mais on peut l'imaginer car ce vieil homme a dut admettre que la maladie et la vieillesse lui avaient fait plier les genoux à terre et que sans aide, il n'est plus rien, et qu'il n'a plus le choix s'il veut rester chez lui.
Ce qu'il n'a pas accepté dans le règlement de la maison et retraite et le personnage de Mme Lebel, il va devoir le faire et laisser la place à une jeune femme et un jeune homme inconnu qui veulent s'installer dans son atelier. Atelier qu'il n'a pas installé lui-même mais qui lui est arrivé tout « cru » à la mort de son père.
Je m'attendais, dans ce livre, en lisant les critiques et le résumé sur Babélio, à trouver une réflexion sur cette période douloureuse pour certains où l'homme voit ses forces diminuer et qu'il sent devoir laisser la place aux plus jeunes, comment l'accompagner sur ce chemin et lui permettre de finir sa vie tout en respectant sa personnalité. Gilbert Bordes fait prendre à son personnage de risques inconsidérés, en le laissant partir de nuit, dans le froid et la neige, au risque de mourir seul, en le laissant aller jusqu'au boutisme. Faut-il en arriver là? va t-il y laisser la vie? va t-il accepter de l'aide?
Par contre, j'ai apprécié cette nuit des hulottes et l'hymne à la Nature décrit par Gilbert Bordes.
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L'amour entre un homme et une femme, c'est si rare qu'il ne faut pas le gaspiller. Ca vient quand tu l'attends pas parce que tu le portes en toi, une petite graine d'amour qui va, tout d'un coup, germer et grandir. Mais ça meurt aussi ...
La lumière des lampadaires ruisselle sur le goudron noir. Les volets se ferment sur la nuit visqueuse de décembre. C’est l’heure de se retrouver, l’heure où la solitude amplifie le froid et l’humidité. Il pense à sa colline de la Neuville, sous un ciel plus grand que ce ciel de vallée, tendu, sans horizon.
Chapitre 1
C’est le soir que le silence devient insupportable, alors le souvenir de Rainette se réveille en lui. Chaque fois, il se dit que demain il prendra la camionnette. Quand c’est le moment, il renonce, parce que c’est le matin, que la peur de la nuit s’est estompée et que ce visage au fond de lui n’aime pas la lumière ruisselante du beau soleil d’hiver sur une campagne figée.
Chapitre 14
Tout au long de son enfance, Cyprien a tenté de lui insuffler cet amour qu'il tenait lui-même de son père : "Le bois, c'est pas seulement une planche qui fabrique une étagère : le bois c'est vivant. C'est la mémoire du temps. Regarde un arbre ça cache toute sa beauté sous son écorce, et toi, quand tu le déshabilles, quand tu ouvres ce tronc avec ta scie, tu découvres tellement de dessins, tellement de vagues, de volutes de fumée que tu te demandes si le bon Dieu n'est pas un peu fou de s'amuser aussi bien. Et ces lignes qui s'en vont dans tous les sens, c'est pas n'importe quoi. Quand je regarde ce bois, je regarde le temps et je vois les années qui passent, les saisons, cet été trop sec qui n'a pas donné de strie claire, et celui-là trop mouillé où l'arbre a pris ses aises et poussé dans la pluie chaude. Un noyer comme celui-là, il faut deux cent ans pour le faire. Imagine la noix qui est tombée dans un fossé, il y a deux cent ans! Heureusement qu'un écureuil n'est pas passé par là! Et quand a poussé la tige verte au printemps, il suffisait d'une vache, d'une chèvre, d'un petit agneau pour y donner un coup de dent, et adieu, le beau noyer! Alors, tu vois, c'est le temps qui écrit dans le bois. Le temps des hommes.
A l’hôpital, chaque matin, l’envie de cette première cigarette lui brûlait les poumons. Il serre les dents en pensant à ses médecins qui veulent faire vivre les gens par force en tuant ce qu’ils ont de plus fort, leurs envies.
Chapitre 7
La dernière nuit de Pompéi - Gilbert Bordes