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Critique de Pau


Voici le roman d'un auteur auquel il serait bon de prêter attention : le baiser dans la nuque d'Hugo Boris, publié en juin 2005 aux éditions Belfond. Hugo Boris a réalisé plusieurs courts-métrages et a été lauréat du prix du Jeune Ecrivain en 2003 pour sa nouvelle N'oublie pas de montrer ma tête au peuple. Il signe ici son premier roman qui démontre son talent de conteur d'histoires et l'acuité d'une écriture personnelle.

« Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce ? (…) C'est un secret qui prend la bouche pour oreille ». Ce que dit Cyrano à Roxane dans la scène du balcon est une excellente synthèse de la force et de la tendresse de ce roman. En effet, le baiser dans la nuque d'Hugo Boris est un roman qui parle de secrets chuchotés : ceux de la naissance, ceux des relations entre les gens, ceux de l'amour aussi. L'écrivain se distingue par la concision et l'intensité de son écriture qui montre très simplement et très pudiquement les joies et les souffrances ordinaires de la vie, la vraie vie, celle que chacun peut vivre.
Il narre la rencontre inattendue d'une sage-femme et d'un professeur de piano. Elle, c'est Fanny, une sage-femme guettée par la surdité. Elle veut faire le deuil de la musique avant de ne plus pouvoir l'entendre. Lui, c'est Louis, un homme réservé qui lui apprend le piano une fois par semaine, le jeudi. Leçon après leçon, elle lui raconte le miracle quotidien de son métier, celui de la naissance, de la vie qui naît et lui l'écoute, l'aide dans son combat contre la perte de l'ouïe. Un troc, un échange, qui permettra peut-être de soigner une blessure secrète ignorée dans sa profondeur. Au fil des leçons de piano, leur relation se tisse peu à peu, faite de musique et de silence, une relation empreinte de pudeur et de complicité. Cette relation se déroule principalement dans un huit clos, le salon de Louis où se tiennent les leçons. C'est une sorte de parenthèse intime dans leurs vies respectives, lesquelles ne sont évoquées entre eux qu'avec beaucoup de pudeur, presque au hasard de leurs conversations musicales. C'est un roman où, comme dans la vie réelle, chaque détail compte, même ceux qui semblent à première vue infimes. En exergue par exemple, les deux sens du mot « portée ». Cette définition extraite du Petit Robert annonce déjà le double sujet du roman avant même que celui-ci n'est commencé : la portée d'une femelle de mammifère, la portée d'un cahier de musique, autrement dit la naissance et la musique.
Cinq chapitres, introduits chacun par un vers d'Arthur Rimbaud : « L'étoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles, / L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins / La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles / Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain. Arthur Rimbaud » Chaque partie correspond aux étapes de l'évolution de la relation entre la femme qui devient sourde et le professeur de piano solitaire. Au lecteur de découvrir le lien entre ces vers cités et l'histoire qu'on lui raconte. de plus, la mise en page même participe de la narration en rendant plus visible le rythme de cette écriture qui doit sans doute quelque chose à Marguerite Duras : « Son bébé. / Laura. / Chaude, glissante, couleur de lune. / Une plainte grêle retentit. Des pleurs envahissent la pièce, de plus en plus nourris. / Elle pleure toutes les larmes de sa mère, cette enfant-là. C'est le chagrin d'Aurélie qu'on vient de libérer en personne. / Qu'elle pleure. / Ce front froissé, cette bouche en colère, ces pieds qui repoussent, ces petits cris aigus. La vie qui dit merde. » Les chapitres sont très courts, une dizaine de pages au maximum, sans titre et signalés seulement par un changement de page et un alinéa d'un tiers de page avant le début du chapitre suivant. A contrario, les troisièmes et quatrième parties : « La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles / Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain. » sont sous-chapitrées par un prénom sans majuscule : « nathan », « rose », « antoine », « vincent », « ingrid », etc. C'est le nom de l'enfant dont elle lui narre l'histoire ce jeudi-là. La naissance de cet enfant n'est nécessairement racontée à chaque fois : l'auteur l'alterne avec le récit de la leçon elle-même ce jour-là, l'approfondissement du lien entre Louis et Fanny.
Le baiser dans la nuque est en définitive un roman surprenant de justesse qui montre les secrets et les souffrances que chacun garde au fond de soi, et aussi les joies profondes qui les pansent tant bien que mal. Il faudrait faire toute une étude approfondie dessus pour en saisir toute la vérité et toute la richesse. Il faut surtout prendre le temps de le lire, de se laisser bercer par cette écriture qui dit avec une grande délicatesse l'histoire de quelques vies : la naissance, la musique, l'amour bien sûr, et la mort. C'est un roman qui suscite une bouffée de tendresse pour notre humanité dont on ne nous montre trop souvent que les horreurs, un roman qui résonne comme un hymne à la joie, un hymne à la vie.
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