Parmi les peintres dont l’histoire a conservé une glorieuse mémoire et marqué la place au premier rang, presque tous ont dû à une heureuse disposition de leur nature, aidée par le travail et l’étude, le haut degré de talent auquel ils sont parvenus. Mais nous avons déjà fait remarquer que cette disposition, en quelque sorte extérieure à leur personnalité intime, en créant avec plus ou moins de facilité des œuvres distinguées, ne se réfléchit pas toujours dans la vie du peintre ; elle est le fruit d’une partie brillante ou grandiose de son génie, mais n’exprime pas l’homme tout entier, n’est pas le résultat d’un ensemble intellectuel et moral qui se traduise dans ses ouvrages. Raphaël, en exprimant avec tant de bonheur les grands sujets de la Bible et du Nouveau Testament, vivait au milieu des enivrements de la gloire et des entraînements de sa passion pour la Fornarina; Michel-Ange a plus, il est vrai, le caractère d’un penseur; mais son génie dantesque s’exagère encore dans la grandeur de ses conceptions, et méconnaît les expressions variées d’affections moins exclusives et de passions plus gracieuses. C’est le peintre lui-même qui respire dans ses compositions, mais ce peintre n’a, en quelque sorte, qu’un caractère, celui de la grandeur et de la puissance. Michel-Ange y est tout entier, mais l’homme y manque dans plusieurs de ses conditions. Plus près du Poussin et de nous, le Dominiquin, de laborieuse et patiente mémoire, compte en première ligne parmi les peintres réfléchis ; mais nous suivons moins facilement la trace de cette réflexion en dehors de la toile et de la fresque où s’est exercé son génie.
Parmi les personnes qui témoignaient alors au Poussin le désir d'obtenir un tableau de sa main et qui insistaient sur ce voeu, nous trouvons un écrivain célèbre à plusieurs titres, mais à aucun de ceux qui pourraient nous aider à comprendre par quel côté de ses dispositions intellectuelles et de ses sentiments il put sympathiser avec les sérieuses pensées et la sévérité de goût de ce grand artiste. Cet homme est Scarron. Ami et compatriote de M. de Chantelou, il n'avait pu manquer d'entendre parler souvent du Poussin et de voir quelques tableaux de lui, des meilleurs certainement entre ceux qui le faisaient admirer depuis longtemps.
Si l'on en croit une tradition, ce ne serait pas la seule fois que le Poussin aurait saisi l'occasion de faire ressortir le talent supérieur du Dominiquin et de venger ce grand artiste de l'injuste oubli auquel le condamnèrent quelquefois ses contemporains. La toile sur laquelle est peint l'admirable tableau de la Communion de saint Jérôme, qui avait excité la jalousie d'Augustin Carrache, tirée par le peintre français de l'obscurité où elle avait été reléguée par l'envie ou le malheur, devint, dit-on, pour lui l'occasion d'une sorte de leçon, dans laquelle il en démontra les hautes qualités.