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Critique de berni_29


♫ Sur la plage abandonnée
Coquillages et crustacés ♪
Qui l'eût cru ! Déplorent la perte de l'été ♫
Qui depuis s'en est allé ♫
♫ On a rangé les vacances
Dans des valises en carton ♪
Et c'est triste quand on pense à la saison ♫
Du soleil et des chansons ♫

Durant quelques jours, j'ai jeté l'ancre à Rodden Eiland. Si l'endroit est exotique à souhait, il ne se prête pas pour autant aux joies insouciantes des vacances et de la farniente. En effet, Bouffanges nous invite ici à une robinsonnade. Mais qu'est-ce qu'une robinsonnade ?
Approchez un peu les amis, asseyez-vous sur le sable tiède de cette plage, mettez-vous en cercle autour du feu. La nuit sera longue, j'ai une histoire à vous raconter...
Parfois, certaines lectures sont des naufrages, chapitre après chapitre, page après page, nous bataillons parmi les mots comme parmi les vagues pour atteindre un hypothétique rivage.
J'aime les livres qui s'ouvrent comme devant un fleuve impassible que je descends et où je pousse ma barque avec jubilation. Les flots tumultueux ne me font pas peur. Qu'importe le chemin ! Qu'importe d'être bousculé ! Qu'importe de m'y perdre ! Qu'importe presque la destination ! Pourvu qu'il y ait en route de l'émotion, des aspérités, des fissures, des abysses où entrer, où tomber, des failles sidérales d'où s'échappent la vie à contrecourant de nos propres existences...
Ce récit, écrit par un certain Bouffanges, démarre donc comme je vous l'ai dit sous l'allure d'une robinsonnade. Mais au fond, qu'est-ce qu'une robinsonnade ? Je ne vous apprendrai pas que le modèle du genre fut Robinson Crusoé avec son célèbre créateur, Daniel Defoe. D'autres se sont essayé au genre sans égaler le grand maître, tout en s'en rapprochant, voire l'imitant.
Le synopsis est souvent le même : prenez un navire, une mer furieuse de préférence en hémisphère sud, un équipage en panique, un personnage qui va devenir héros malgré lui, seul survivant après le naufrage, l'aventure qui continue sur une île déserte, sauvage et hostile, puis survivre... Agitez le tout et vous obtiendrez une robinsonnade. Parfois certaines se veulent porteuses d'un message philosophique, ou tout au moins d'un éclairage sur une morale forte.
Bouffanges cite d'ailleurs ici quelques-unes des plus célèbres robinsonnades...
Mais qu'en est-il de Rodden Eiland qui reprend à son compte le fameux thème ? Peut-être le renouvèle à sa manière. D'ailleurs est-ce vraiment une robinsonnade ? Ou n'est-ce qu'une robinsonnade ? Qu'apporte-t-il de plus au genre ?
Approchez, approchez près du feu que je vous en parle... Apportez vos guitares et vos carnets de chants, faites-nous entendre Maxime le Forestier, Hugues Aufray, Graeme Allwright et tutti quanti... Alors, pour les béotiens de la variété, je préciserai que tutti quanti n'est pas un chanteur révolutionnaire piémontais, hein ?!...
Le récit de ce naufrage n'en fut pas un pour moi. Voilà, déjà c'est dit.
Des amis m'ont convaincu de rejoindre leur archipel, celui de ceux qui ont été séduits par ce texte d'un auteur qu'une certaine Nicola nous a fait connaître sur Babelio et je l'en remercie.
À contrevent, j'ai donc rejoint la horde de mes amis pour cette lecture qui m'attendait depuis des lustres, - entendez par là des semaines...
Ici notre Robinson Crusoé est un anti-héros, - quoi que sur cette définition nous pouvons engager de multiples discussions... Échouant sur une île déserte et sachant faire preuve d'une telle résilience, je serais prêt à accepter le qualificatif d'anti-héros.
Il s'appelle Édouard Hythlodée. Pourquoi ce prénom d'Édouard ? Ne me le demandez pas, je suis aussi atterré que vous de le découvrir. Malgré sa belle réussite professionnelle, - Édouard Hythlodée est vétérinaire spécialiste en chirurgie, internationalement renommé, il véhicule cependant la poisse depuis sa plus tendre enfance. Vous vous en étiez déjà aperçu, n'est-ce pas ?
J'ai connu quelqu'un un peu comme cela quand j'étais étudiant parmi un groupe de copains. Il s'appelait d'ailleurs Marcel lui aussi. Lorsque nous étions au bord d'une plage, s'il y avait un seul goéland qui passait dans le ciel dégagé, c'était pour son crâne... Lorsqu'on prenait l'apéritif chez l'un d'entre nous, on évitait de lui confier la tâche de dresser les verres sur la table et surtout de les débarrasser après...
Pour revenir à notre vétérinaire émérite, embarqué dans un vol Tokyo-Sydney pour un congrès international, le destin semble continuer de lui donner raison : il se retrouve coincé dans les toilettes, tandis que l'avion traverse d'interminables zones de turbulences. Se heurtant la tête contre la cuvette, il finit par sombrer dans l'inconscience. À des moments très rares de mon existence, il m'est arrivé de vivre les mêmes désagréments. Et mon esprit chahuté par les paliers de décompression se situait comme dans un Boeing sept-cent-quelque-chose... Bon, il y a heureusement prescription depuis...
Lorsqu'il en émergera, Édouard Hythlodée se retrouvera seul, sur une île oubliée du Pacifique. À l'exception d'un fragment de queue, l'avion aura disparu, et avec lui l'intégralité des passagers.
Avouez, avoir la vie sauvée par une porte de chiotte capricieuse, tout de même...
La première partie écrite à la première personne du singulier nous donne à voir son apprentissage des lieux, des premiers jours, d'une nouvelle vie. L'humour n'est pas en reste. Ainsi, cherchant à ouvrir les deux valises de son célèbre rival Piet de Band qu'il retrouve échouées près de la queue de l'avion, ce moment est un pur bijou déclenchant le fou rire lorsqu'il cherche à identifier leurs codes d'ouverture.
Les jours s'égrènent, se passent dans le meilleur des mondes. On pourrait en rester là.
« Il avait trop longtemps cru pouvoir vivre seul. Mais bientôt, Vendredi serait là. »
Et vendredi arriva.
Nous le savons tous, sans Vendredi Robinson Crusoé n'existerait pas... Ne survivrait pas... C'est Vendredi qui donne l'existence et le sens du personnage de Robinson Crusoé.
« Gooooooooood evening, Rodden Eiland ! »
Alors il y a ce cri de rage lancé chaque vendredi par Édouard dans une radio où il espère que son message sera porté à l'universel, cela m'a évoqué une sorte de parodie touchante et désespérée, qui forcément nous fait penser à « Good Morning, Vietnam », comme un cri de ralliement que lançait Adrian Cronauer alias Robin Williams...
C'est lors de cette seconde partie, - où la narration passe à la troisième personne du singulier pour suivre de plus près Édouard, sa vie, son oeuvre, bref c'est là que le texte prend une tout autre dimension...
Dans le ressac du récit, cette seconde partie offre une digression fort intéressante vers les organisations sociales, sur les joies et les contraintes de la vie communautaire, les apprentissages de la démocratie, ses lois, ses chemins, ses impasses, ses illusions, ses contours, ses rebonds... L'expérience de la démocratie vécue difficilement en territoire hostile suscite une observation intéressante lorsque les contingences extérieures fragmentent le collectif, renvoyant chacun à son intérêt personnel. Cela ne vous parle-t-il pas ?
Et puis la fin est sidérante, comme une mer qui se retire sur le naufrage de nos vies, ayant effacé les dernières traces qui subsistaient et c'est peut-être tant mieux.
Dans les clapotements furieux des marées, je me retrouve à présent seul. Devant moi un archipel me tend ses rivages, alors je ne suis pas tout à fait seul puisque vous êtes là.
Rodden Eiland, une bien belle robinsonnade, mais pas que... qui trouve son ton particulier, sa musique, une île où viennent aussi à notre rencontre des livres, ceux de l'île déserte de Bouffanges, son panthéon littéraire...

« Sur l'eau calme voguant sans trêve
Dans l'éclat du jour qui s'achève
Qu'est notre vie, sinon un rêve ? »
Alice au pays des merveilles, Lewis Carroll

« Gooooooooood morning, Babelio ! »
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