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Critique de Athanase45


Le roman en vers trouve peu à peu sa place en littérature jeunesse. En 2016, Clémentine Beauvais donnait chez Sarbacane Songe à la douceur, un roman en vers libres inspiré par l'Eugène Onéguine de Pouchkine. En 2019, l'éditeur Nathan publiait Signé Poète X, d'Elisabeth Acevedo, une slameuse afro-américaine, dans la traduction de la même autrice. Avec sa diction particulière, le slam impose ses « groupes de souffle », ensemble de syllabes lues d'un seul jet, qu'on trouve depuis longtemps dans les histoires lues aux plus petits et qui commandent leur typographie.

D'autres auteurs jeunesse ont cherché dans cette forme le moyen de doper la lecture d'une nouvelle énergie, comme récemment Damien Galisson avec son récit de fantaisie, La dragonne et le drôle (Sarbacane). Grâce à ses vers souvent libres, avec ou sans rime, à la métrique souple, jouant parfois sur les assonances, sur des ruptures, des rejets et des enjambements issus de la mécanique classique du poème, le roman en vers propose une lecture qui rompt avec l'horizontale et son apparente monotonie pour imposer une autre esthétique du texte et, littéralement, un autre coup d'oeil sur lui.

C'est particulièrement vrai avec le deuxième roman de Marie Boulic, le Chant du bois. L'autrice a adopté cette forme en vers pour raconter tout un pan de notre époque, tendu et tragique. Et le regard du lecteur est comme entraîné dans une cascade de sens, une lecture verticale le long d'une étroite colonne de signes, une chute qui donne le sentiment un peu vertigineux tantôt d'une accélération tantôt d'un ralentissement, plus globalement d'une pulsation du texte ponctuée de rebonds, toutes sensations que le sage enchaînement des mots et des paragraphes d'un livre normalement mis en page ne procure pas toujours.

Le narrateur de cette histoire n'est autre que le bois d'un arbre qui ne va cesser de faire entendre sa voix tout au long des métamorphoses qu'il doit subir pour se plier aux usages à lui imposés par les êtres et les destins qu'il côtoie.

Pour que ce chant du bois s'élève, il faut d'abord que l'arbre naisse, vive et meure, lui qui avait poussé sa frondaison au plus près des étoiles. Mort et équarri, l'arbre se fait bois, planches et bientôt coque de bateau.

Ce bateau porte sur la mer Zohra, la vieille pêcheuse qui, d'aventure, se fait un jour pêcheuse d'homme, ce drôle de poisson qui s'était aventuré sur la mer et a failli s'y noyer.

C'est le bois des barques qui chante alors l'espoir et la tragédie des Africains qui tentent de rejoindre l'autre rive de la Méditerranée, là où la vie est plus riche et plus douce. On sait la traversée longue et périlleuse. le chant du bois se fait alors déploration du drame des naufrages, de la profondeur des abysses qui volent tant de vies.

Zohra, elle, arrive à bon port. Quant à sa barque, échouée, elle pourrait être vouée au pourrissement sur une côte de l'île de Lampedusa. Mais voici que d'autres mains, celles de prisonniers, s'emparent de ce bois peint, multicolore, pour le façonner à nouveau, de sorte qu'il pourrait bien se mettre à chanter vraiment, se faisant instrument au coeur de la musique, laissant entrevoir une rédemption revenue de ces étoiles que l'arbre, à l'origine, avait tutoyées.

En six chants, comme autant de chapitres, Marie Boulic déploie donc le récit d'un témoin inattendu de la folie et de la résilience humaine : le bois, fruit de l'arbre sacrifié, cinquième élément de l'univers. le choix du roman en vers n'est pas ici gratuit. le bois ne saurait parler, comme un livre ordinaire, de la vie et de la mort, de l'exil et de la prison. le roman en vers claque ses mots, pour retrouver leur intensité originelle. Mais il sait aussi se faire sensuel comme dans ce court passage :

« Mes formes rondes
te parlent.
Tu t'attaches à la chaleur
de mon bois
qui te devient familier.
Nos rendez-vous te délivrent. »

Ces formes rondes, ce sont celles d'un violon né des mains de prisonniers milanais auxquels un luthier italien a transmis son savoir-faire et son art.

Le Chant du bois, c'est aussi ce chant humain qui court tout au long de ce récit dont Marie Boulic a sculpté la forme en magnifiant chaque mot.


Lien : https://littejeune.blogspot...
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