La Face

Personne ne peut se défendre contre un soupçon mal défini, engendré par une vague analogie.

Rien n'échappe à l'inquisition publique.

Il n’avait aucune raison valable de se renfrogner. La crise était passée. Il n’avait pas éprouvé pareille humeur depuis longtemps. Il était complètement rasséréné lorsqu’il arriva chez lui. Le fil de ses pensées l’avait amené jusqu’à Mireille et il s’était arrêté à son image, prenant garde de ne pas la laisser brouiller. Elle était assez radieuse, assez consistante pour tenir éloignées les folles chimères de son imagination. Il ne songea plus qu’à sa fiancée et à la promenade projetée pour le lendemain.

Ce qui l’avait ulcéré, par-dessus tout, plus encore que les invraisemblables crimes prêtés à ses confrères, c’était de voir ceux-ci représentés comme bassement serviles, soumis aux puissances de la politique et de la finance. Il avait des opinions farouches sur l’indépendance de la magistrature. Sur ce point particulier, l’hérédité et l’éducation avaient donné à son esprit une orientation rigide.

Le soleil de ce pays a fait divaguer des cerveaux aussi bien organisés que le sien. Et sa fiancée en vaut certes la peine. C’est un tableau qui manquait dans la pièce ; probablement beaucoup plus juste... Elle n’était décidément pas fameuse. L’auteur n’a jamais connu un vrai procureur ; pas le nôtre, en tout cas ; pas le procureur Berthier... C’est égal ; prendre une comédie avec un tel sérieux ? Se sentir personnellement visé et s’en indigner à ce point ? Un homme comme les autres ?... Peut-être, après tout.

Et après avoir commis de tels crimes, après avoir vendu notre âme aux puissances d’argent, nous avons tout juste de quoi mener une vie décente ! Je crois que nous sommes encore plus méprisables que l’auteur ne nous a représentés. Nous ajoutons le vice de bêtise à tous les autres... S’il connaissait le quart des scrupules qui nous assaillent parfois ! continua-t-il, en se rappelant plusieurs cas de conscience où il avait été véritablement torturé à la pensée de commettre une erreur...

Certes ! Tout le monde sait que la magistrature est corrompue, et que la plupart de ses membres n’ont aucune conscience. Cela est même trop connu, trop évident.