Une seule fois, Kiro avait lu dans ses yeux une expression qui n’était pas de l’indifférence. Moktuy avait paru tourmenté, et avait fini par expliquer la cause de son trouble. La fille blanche avait un accès de fièvre, et on ne savait pas comment la soigner. Kiro, après avoir réfléchi, était monté dans une des chambres inoccupées du bungalow. Le mobilier avait été conservé en bon état. Le Japonais avait détaché la moustiquaire du lit. Il l’avait rapportée à Moktuy, ajoutant à ce présent un paquet de quinine. Celui-ci l’avait remercié avec des yeux brillants, mais cet élan ne s’était jamais renouvelé. En cette occasion seulement, la personne de Marie-Helen avait été évoquée entre eux.
Il y avait eu trois rafales, suivies de clameurs et de commandements rauques. Les cabanes du Kampong restèrent closes. La seule réaction fut une vague de chuchotements, qui se prolongea dans la nuit pendant quelques minutes, puis s'éteignit.
Saat n'avait pas bougé. Il était obstiné dans sa volonté de considérer les événements qui se passaient au delà du ruisseau comme sans rapport avec l'univers malais, et son intransigeance lui inspirait un courage résigné. Il resta ainsi pendant une demi-heure, épiant quelques bruits isolés qui provenaient de la plantation, sentant peser sur lui le regard de son fils.
De temps en temps, la lueur d'une torche brillait entre les arbres, au sommet des collines.
- Ils cherchent encore, dit Moktuy à voix basse. Un des hommes blancs s'est peut-être échappé...
(extrait du chapitre 3)
Les deux groupements humains qui composaient la population du Sinang, n’entretenaient presque aucune relation. Parfois un boy descendait au kampong pour acheter du poisson ou des fruits; toujours le même : un Malais de Java, qui portait une croix chrétienne sur sa poitrine en témoignage de sa conversion. Les pêcheurs se méfiaient de lui.
Ce n’était qu’un prau malais de petite taille, mais il lui parut immense, gonflé qu’il était de tous ses souhaits malveillants.
Il était quatre heures dans l'île de Sinang, sous les tropiques, lorsque le père Saat sortit de sa torpeur. Il avait pris l'habitude de prolonge sa sieste depuis un peu plus d'un an, exactement depuis que sa femme lui avait donné un cinquième garçon, marquant la famille d'une dignité définitive, qui imposait à son chef des attitudes majestueuses et des heures de méditation.
Pour moi, j’avoue que je me sens soulagé et enclin à croire à une certaine équité en constatant que Pasteur échoua à ses examens et que Einstein fut refusé à une école polytechnique.
(...) elle croit fermement que son devoir est d’absorber tout ce qu’on lui propose, sans en laisser perdre une miette. Apercevez-vous le danger, Père ? En ce qui concerne nos programmes d’enseignement, nous gardons toujours l’espoir, après les avoir établis, que les enfants seront assez sages pour ne pas les suivre, faire d’eux-mêmes la sélection que nous avons été incapables de faire, et s’abstenir finalement de toute étude réelle. Nous nous flattons, sans nous l’avouer, que leur esprit restera sauf parce qu’il ne cherchera pas à pénétrer le chaos laborieusement composé à leur usage. Et nous nous congratulons en pensant que la simple musique de la table des matières dénuée de sens par laquelle nous avons remplacé la connaissance est inoffensive, et même qu’elle laissera quelque impondérable utile dans leur cerveau. Nous baptisons alors « culture générale » ce souvenir confus d’un arrangement de titres et de sous-titres numérotés qui reste chez l’adulte lorsque, n’ayant jamais rien appris, il a, sans aucun mal, tout oublié.
(...) cette première journée s’écoula ainsi. Ils la terminèrent, tard dans la nuit, par une discussion véhémente sur l’origine de l’Univers. Ils avaient retrouvé la paix de l’âme en modifiant l’échelle de leur vision. Le lendemain seulement, l’atome Terre réapparut dans leur entretien.
Sa mère voulait la mettre dans un couvent ; c’est moi qui ai conseillé le lycée.
— Je n’en suis pas surpris, dit doucement le Père.
— J’ai toujours été partisan du moindre mal.