Accroupi à la lisière de la jungle, au bord de la piste qui limitait la plantation de Kebun Besar, Sen, soldat de la libération commençait à se sentir pénétré par l'humidité de la nuit. Il inspecta le ciel visible au dessus des hévéas, et reprit patience en constatant qu'aucune lueur n'annonçait l'aube.
— À propos, Pat, dit-il avant de sortir, pourquoi donc lui apprenez-vous le français et non l’anglais ?
— Ceci signifie-t-il que mon français n’est pas correct ?
— Pas du tout, mais enfin l’anglais vous demanderait peut-être moins d’efforts. Pourquoi le français ?
Patricia, condescendante, lui répondit qu’il était vraiment assez naïf de ne l’avoir pas deviné. La raison en était pourtant bien évidente. Ling était encore à l’état sauvage, au degré zéro de la civilisation. Il fallait faire son éducation graduellement, en commençant par les premiers échelons.
Lorsqu’elle avait découvert une détresse, et entrepris de la soulager, il n’était pas dans sa nature de se laisser arrêter à mi-chemin par des considérations extérieures. Il fallait qu’elle allât jusqu’au bout, jusqu’à recueillir la récompense qu’apporte le succès d’une bonne action. Rawlinson, qui avait beaucoup d’amitié pour elle, mais pour qui elle était parfois un sujet d’émerveillement, prétendait que, dans un monde parfait, sans misère et sans souffrances, elle seule eût été malheureuse, insatisfaite de ne pouvoir répandre en compassion le capital d’altruisme qui gonflait son âme.