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Citations sur Grand Seigneur (67)

Je répare le corps de mon père par mon corps, je marche des
kilomètres, exercice qu’il pratiquait. Le surprenant il n’y a pas si
longtemps dans la rue, en train de slalomer entre les voitures, aidé d’une
canne, j’avais cru à un rebond, à un miracle. Mon père avait réchappé à
un attentat, une prise d’otages, un séisme, il saurait laver son sang livré
puis examiné au laboratoire de son quartier et dont les résultats étaient de
plus en plus mauvais ; je les photographiais, de retour chez moi, je
sondais les formules, les chiffres, les mots hématites, leucocytes, cellules
épithéliales, mots qui semblaient avoir été extraits d’un glossaire de
botanique.
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A et l’Amie désirent m’accompagner à Jeanne-Garnier, je les préfère
vierges d’Ici, qu’elles reçoivent le récit de l’agonie sans y être
physiquement confrontées fait que cette agonie entendue, rapportée
devient un roman c’est-à-dire une histoire qui n’existe pas.
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Toutes mes pensées vont vers lui, leur fréquence est celle des pensées
invasives d’une défaite ou d’une victoire amoureuse, il m’est impossible
de brider mon esprit, de l’arracher à sa tâche qui consiste à faire une
répétition de l’événement, à le divulguer. Je téléphone en marchant à A et
à l’Amie, passant du cercle familial au cercle amoureux, amical, sororal,
territoire où je me sens comprise, entendue, en sécurité. Je « reverse » la
chronologie de mon après-midi, les faits, les actes, l’avancée ou la
stagnation de la maladie ainsi que mes étonnements. La chambre de mon
père est le lieu d’une dramaturgie, chacun d’entre nous se dispute une
place, un geste, un mot, obsédé par le désir d’être aimé de celui qui se
tient au seuil des ténèbres.
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À l’angle de la
rue du Commerce je reconnais plus qu’une ville, je reconnais ses
battements, sa couleur, sa vibration, plus je m’éloigne de Jeanne-Garnier
plus ses images se dissipent, des vignettes surviennent en flash, mon
« premier » père se montre :

à la sortie de l’école, appuyé contre sa voiture, en trench beige, il fume
une Peter Stuyvesant,

il saute d’un haut rocher, son corps est arc-bouté puis vertical,

je reçois un matin de septembre une carte postale « l’île de Pâques te
plairait, les dieux se sont transformés en statues de pierre »,

ses bras sont chargés de houx, de mimosas,

sur ses épaules dans les ruines romaines et maritimes, il me dit :
« préviens-nous si un vaisseau pirate approche le rivage »,

son blouson en daim, sa chemise blanche, ses boots,

Ronsard et Apollinaire dans sa voix,

le nuage de parfum derrière les oreilles, sur le torse, les aisselles, à
l’entrejambe,

les feuilles de papier noircies, le cendrier, le briquet, les cigarettes, les
stylos autour de lui, assis en tailleur sur un tapis.

Il est l’homme fakir qui écrit.
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Il est l’homme fakir qui écrit.
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Je garde un mythe, celui que la capitale de mon enfance me
tient, comme une femme, dans ses bras, baise mon front avant la nuit, me
protège à des milliers de kilomètres. Mon père se mourant près de
l’appartement du déracinement puis de la renaissance provoque un
sentiment de double arrachement : les branches et les fleurs de mon arbre
généalogique algérien vont tomber.
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Le cancer dans son œuvre déplace la ligne qui sépare
l’amour, la compassion de la pitié, il abuse de son « logeur », l’induit en
erreur, le fait douter des siens, ses poissons pilotes pourtant.
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Par une division
magique de ma conscience – fantasme et réalité –, je suis certaine que
l’homme qui est couché dans le lit n’est pas mon père et que ce dernier
viendra bientôt reprendre ses affaires égarées.
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Les visites débutent à 14 heures, mon père est au premier étage, dit du
Sacré-Cœur, je ne prends pas l’ascenseur mais l’escalier, chaque marche
est une pensée, je n’ai pas honte d’avouer que ma colère est aussi grande
que ma tristesse, que mon courage est traversé de lâcheté, que ma
reconnaissance pour les médecins est griffée par mon injuste haine, que
ma patience se transforme en impatience en un claquement de doigts, que
je suis dépendante du lieu et que je m’y rends avec frénésie parce qu’il
« contient » mes gestes, le son de ma voix, une partie de moi dissociée de
mon père, partie sombre où s’écharpent mes démons : ici, j’apprends à
accepter l’idée de ma propre mort.
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Mon père va quitter la
terre après avoir quitté la ville, malade, mourant, expulsé des rues, des
avenues, des boulevards, de la foule. L’été peut renaître, la lumière
éclater, les jours rallonger, les amoureux s’embrasser, mon père n’est plus
de la fête, assigné à la maison médicale, privé des instants joyeux et de la
course des hommes et des femmes du dehors.
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