Elle est dans son livre, comme on est absorbé par le corps de quelqu'un. Les livres ont ce pouvoir d'annuler le monde, d'étouffer les cris; ce sont des livres-murailles, il y a plusieurs façons de quitter la vie, les livres sont de cette drogue.
On ne se remet jamais de ses morts, je crois. On fait semblant de s'en détacher.
Avant, j'écrivais dans ma tête,puis j'ai eu les mots,des spirales de mots,je m'en étouffais,je m'en nourrissais;ma personnalité s'est formée à partir de ce langage,à partir du langage qui possède.
Souvent, je préfère lire au lieu d'écrire,parce que l'écriture m'arrache au réel,tandis que l'écriture-mon écriture-m'oblige à m'y tenir au plus près.
J'ai failli me noyer et je ne l'ai jamais dit à personne,mon enfance repose sur ce secret,je n'ai rien dit parce que ma mère aurait pleuré,je n'ai rien dit parce que je pense qu'il est important d'avoir des zones d'ombre dans sa vie,c'est de là que prend l'écriture.
Je suis un arbre qu'on a retiré trop tôt de sa terre, j'avais des promesses algériennes, j'avais des ramifications, des désirs, des intimités, en petit cercle, en petit secret, j'avais mes racines à moi, j'avais creusé, depuis l'enfance, sous mes fondations d'autres galeries qui menaient vers d'autres fondations ; je dois tout refaire, je dois creuser à nouveau, je ne sais rien de ma nouvelle terre, on dit qu'elle est a moi [...]
Les livres ont ce pouvoir d'annuler le monde, d'étouffer les cris ; ce sont des livres- murailles, il y a plusieurs façons de quitter la vie, les livres sont de cette drogue.
Je veux faire confiance au monde,je veux garder ma fragilité,parce qu'elle donne l'écriture,elle donne les yeux qui regardent vraiment.
Je suis folle d'écriture parce qu'elle ferme la petite enfance.
La vie n'arrange rien au sujet des morts. Il n'y a aucun oubli, il n'y a que de l'amour, au fur et à mesure des jours il n'y a que du manque. Il serait naïf de croire que le temps apaise les peines. Tout me fait penser à mon père. La vie même me fait penser à lui. Le cœur de la vie. La vitesse de la vie. Le feu de la vie. Le silence de la vie. Il reste mon premier référent. Je le consulte, dans ma tête. J'aime croire à cette idée qu'il aurait toutes mes réponses en lui. J'aurais tant à raconter. J'aurais tant à demander. Tous les jours, je me dis qu'il serait fier de moi.