Je ne savais pas que l’amour c’est comme une roche qui nous explose le cœur, qui fait mal autant qu’il fait vivre, et qu’il donne envie de fuir en même temps qu’il nous empêche de le faire.
Billie parle très peu. Je pense que c'est parce que les autres la déçoivent tellement qu'elle en perd l'usage de la parole.
Quand elle parle, tout s'illumine, tout explose en grappes de miel et de feu. Billie ne fait pas des menaces, elle fait des promesses.
Je vais lui dire que je l’attends depuis longtemps. Depuis plus longtemps que la durée de vie. Que je l’attends depuis mes vies antérieures, quand j’étais preux chevalier et homme des cavernes. Je vais lui dire qu’elle ressemble à un cactus magnifique. Je vais lui dire que je sais que j’ai l’air zéro viril mais que j’ai appris cet été que le courage n’a pas grand-chose à voir avec la virilité et tout à voir avec le danger et que rien de rien n’est aussi dangereux que de se tenir debout devant un cactus magnifique pour lui faire une déclaration d’amour, à part peut-être la guerre et les séries éliminatoires de hockey.
“Quand ma mère et mon père s’assoient sous le saule, dans la lumière dorée de la fin de journée, et que j’entends résonner comme un gloussement, comme une cuillerée de sirop d’érable, le rire de ma mère.”
Ma mère appelle notre appartement « la cabane dans l’arbre ».
C’est un cinq et demie au troisième étage d’un triplex qui donne sur l’autoroute métropolitaine.
Quand on s’assoit sur le balcon arrière, on a une vue (imprenable ! dit ma mère) sur les autos, les camions, les klaxons, les bouchons et le béton.
Un jardin automobile au-dessus duquel notre famille est perchée, comme une famille d’oiseaux empoussiérés.
Elle dit que c’est presque aussi beau que notre jardin d’avant, celui de la campagne, celui qui depuis notre départ s’est noyé dans le chiendent et les feuilles mortes, parce que mon père ne s’en occupe pas.
Il pleure pendant des heures, comme pour distraire la douleur
J'ai fermé les yeux très fort, pour me boucher les oreilles.
Il pense à la vie d'avant, quand on vivait tous les quatre ici, et qu'il construisait des chaises qui sentaient bon le bois et le vernis, et que ma mère préparait des sablés qui sentaient bon le beurre et la tranquillité.
Il pense aux couinements de Truffe quand il était bébé, à ses premiers mots: "Feeeeel good."
Il pense à nos vacances en camping, aux devinettes dans l'auto, aux batailles de neige.
Il pense au sourire de ma mère, du temps où elle souriait.
Je le sais parce que moi aussi.
Parfois, je pense que mon père invente des faux souvenirs quand il a fait le tour des vrais.
Il paraît que les parents veulent toujours donner à leurs enfants ce qu’eux n’ont jamais eu. Un tricycle rouge, une chaîne stéréo, des vacances à la mer. Du courage