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Citations sur Les somnambules (72)

Cette époque, cette vie, qui se désagrègent, possèdent-elles encore une réalité ? Ma passivité augmente de jour en jour, non pas que je m'use au contact d'une réalité qui serait plus forte que moi, mais parce que partout je me heurte à l'irréel. J'ai absolument conscience que c'est seulement dans l'action que je dois rechercher le sens et l'éthique de ma vie, mais je devine que ce temps n'a plus de temps à consacrer à la seule activité véritable, à l'activité contemplative du philosophe. J'essaye de philosopher, mais où trouver la dignité de la connaissance ? Ne s'est-elle pas depuis longtemps éteinte, face à face avec l'évidence de la désagrégation de son objet ? La philosophie elle-même ne s'est-elle pas dégradée elle-même en vaines paroles ? Ce monde sans essence, monde sans stabilité, monde qui ne peut plus trouver ni conserver son équilibre que dans une vitesse accrue, a fait de son allure forcenée une pseudo-activité pour l'homme, afin de projeter celui-ci dans le néant ; — oh ! existe-t-il plus profonde résignation que celle d'une époque qui n'est plus capable de philosopher ? La méditation philosophique elle-même s'est transformée en un jeu esthétique, un jeu qui n'existe plus, elle s'est fourvoyée dans la rotation stérile des engrenages du mal, c'est une occupation pour bourgeois qui trompent l'ennui de leurs soirées : rien ne nous reste plus que le nombre, rien ne nous reste plus que la loi !

Chapitre LXXII.
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Donnez-moi n'importe quel autre genre de saoulerie, une saoulerie nouvelle : peu importe que ce soit la morphine ou le patriotisme, ou le Communisme, ou n'importe quoi d'autre qui vous saoule complètement... donnez-moi quelque chose qui nous rende à tous notre sentiment de solidarité, et j'abandonnerai la boisson... du jour au lendemain.
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Dans cette anxiété souveraine qui s'empare de chaque homme au sortir de l'enfance, à l'heure où le pressentiment l'envahit qu'il faudra marcher seul, tous ponts coupés, au rendez-vous de sa mort sans modèle, dans cette extraordinaire anxiété qu'il faut bien déjà nommer un effroi divin, l'homme cherche un compagnon afin de s'avancer avec lui, la main dans la main, vers le porche obscur, et pour peu que l'expérience lui ait appris quel délice il y a sans conteste à coucher auprès de son semblable, le voici persuadé que cette très intime union des épidermes pourra durer jusqu'au cercueil. Aussi, quelque rebutantes que soient certaines apparences, car l'on opère entre deux draps de toile grossière et mal aérés ou parce que l'on peut croire qu'une fille ne considère peut-être dans l'homme que le moyen d'assurer ses vieux jours, qu'on veuille bien ne jamais oublier que tout membre de l'humanité, même s'il a le teint jaunâtre, même s'il est anguleux et petit et marqué en haut à gauche d'un défaut de dentition appelle de ses cris cet amour qui doit pour l'éternité le ravir à la mort, à une peur de la mort qui redescend chaque soir avec la nuit sur la créature dormant dans la solitude.
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Voici la grande question : comment l'individu (...) peut-il concevoir l'idéologie et la réalité de la mort et s'y conformer ? On peut répondre que cela en tout cas n'est pas vrai pour la grande masse, et qu'elle y a seulement été contrainte : c'est peut-être exact en ce moment, où il existe une lassitude de la guerre, mais il y a eu et il y a, même encore aujourd'hui, un véritable enthousiasme pour la guerre et pour les armes à feu. On peut répondre que l'homme moyen dont la vie s'écoule entre la mangeoire et le lit ne possède en général aucune idéologie et qu'il était donc possible de le gagner sans difficulté pour l'idéologie de la haine.
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Comme il approchait de Mannheim, l'idée le visita qu'Erna couchait très certainement avec le chaste Joseph. À vrai dire, c'était hors de doute, tellement évident que tout examen devenait superflu, non moins évident que le nez au milieu du visage ou les pieds avec lesquels on marche. Rien ni personne n'aurait pu l'en faire démordre : que voulez-vous qu'ils fassent ensemble, ces deux-là ? Or, il se trompait. En effet, quoique dans ce livre de la vie la table des matières soit assez vite parcourue et qu'il suffise de peu pour mettre d'accord deux personnes de sexes différents, il y existe pourtant un certain nombre de choses moins évidentes qu'on serait tenté de le croire.
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La prévalence du style architectural parmi les caractéristiques d'une époque est un des sujets les plus étranges. Après tout, quelle situation privilégiée tout à fait remarquable, les arts plastiques ont-ils reçue à l'intérieur de l'histoire ! Ils ne sont certainement qu'un très mince échantillon dans la foule des activités humaines dont une époque est remplie et, certainement même pas un échantillon très intellectuel, et cependant ils surpassent tous les domaines intellectuels en puissance caractéristique, ils surpassent la poésie, surpassent même la science, même la religion. Ce qui dure à travers les millénaires, c'est l'œuvre d'art plastique, elle reste l'indice de l'époque et de son style.
Cela ne peut pas tenir seulement à la durabilité des matériaux. Parmi les choses qui proviennent de ces derniers siècles, on a conservé du papier écrit, en masse, et cependant, toute statue gothique est plus " moyenâgeuse " que toute la littérature du Moyen Âge. Non, ce serait une très misérable explication ; si une explication est possible, il faut la trouver dans l'essence du concept même de " style ".
Car le style n'est certainement pas une chose qui se limite à la construction ou à l'art plastique : le style c'est quelque chose qui traverse de la même manière toutes les expressions vitales d'une époque. Il serait absurde de parler de l'artiste comme d'un être d'exception, de quelqu'un qui mène une existence particulière à l'intérieur du style et qui produit celui-ci, alors que les autres en sont exclus.
Non, s'il existe un style, toutes les expressions vitales en sont pénétrées. Le style d'une période est tout aussi présent dans sa pensée que dans toute action qui est implantée par les hommes de cette période. Et c'est seulement cette donnée, nécessairement telle, parce qu'il ne peut en être autrement, qui permet d'expliquer un fait surprenant : pourquoi ce sont précisément les actions qui se manifestent dans l'espace qui ont pris une signification si extraordinaire, une signification évidente, au vrai sens du mot.
Peut-être serait-il oiseux d'y réfléchir, si derrière ne se cachait pas le problème qui seul légitime toute philosophie : l'angoisse du néant, l'angoisse du temps qui conduit à la mort. Et peut-être toute cette inquiétude inspirée par la mauvaise architecture et qui fait que je me recroqueville dans mon logement, peut-être toute cette inquiétude n'est-elle rien d'autre que cette angoisse. Car, quoi que l'homme fasse, il le fait pour anéantir le temps, pour le supprimer, et cette suppression s'appelle l'espace. Même la musique, qui est uniquement dans le temps et qui remplit l'espace, transmue le temps en espace, et la théorie qui possède la plus grande vraisemblance, c'est que toute pensée s'accomplit dans l'espace, et que le processus de pensée représente un amalgame d'espaces logiques à multiples dimensions, indiciblement compliqués. Mais s'il en est ainsi, on peut également admettre que toutes ces manifestations qui se rapportent immédiatement à l'espace reçoivent en apanage une signification et une évidence sensible, qui n'appartiennent à aucune autre activité humaine. C'est ce qui éclaire également la signification particulière et symptomatique de l'ornement. Car l'ornement détaché de toute forme utilitaire, bien que celle-ci soit à l'origine de son développement, devient l'expression abstraite, la " formule " de toute la pensée spatiale, devient la formule du style lui-même, et, par là, la formule de toute l'époque et de sa vie.
Et c'est en cela que me semble résider cette signification, que je serais tenté de qualifier de magique, c'est par là, qu'il devient significatif qu'une époque complètement dévolue au trépas et à l'Enfer doive nécessairement vivre dans un style qui n'est plus capable de produire d'ornement.

Troisième partie : 1918, HUGUENAU OU LE RÉALISME : Chapitre XXIV, Dégradation des valeurs (3).
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Pour le marchand du Moyen Âge, le principe " les affaires sont les affaires " était sans valeur, la concurrence était pour lui quelque chose de prohibé, l'artiste du Moyen Âge ne connaissait pas " l'art pour l'art ", mais seulement le service de la foi, la guerre du Moyen Âge ne réclamait la dignité d'une cause absolue que lorsqu'elle était faite au service de la seule valeur absolue : au service de la foi. C'était un système total du monde reposant dans la foi, un système monde relevant de l'ordre des fins et non pas des causes, un monde entièrement fondé dans l'être et non dans le devenir, et sa structure sociale, son art, ses liens sociaux, bref toute sa charpente de valeurs étaient soumises à la valeur vitale de la foi, qui les comprenait toutes ; la foi était le point de plausibilité constituant l'aboutissement de toute chaîne de questions ; c'était elle qui, imprégnant la logique, lui conférait cette nuance spécifique et cette force de stylisation qui s'exprime sans cesse, tant que la foi demeure vivante, dans le style de l'époque et non seulement dans le style de la pensée.
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Il n'y a plus moyen de s'y reconnaître et en un sens pourtant c'est dans l'ordre. En un sens, ce qui compte, ce ne sont plus les hommes. Ils sont tous pareils et peu importe que celui-ci se résorbe dans celui-là, que l'un prenne la place de l'autre. Non, le monde ne s'ordonne plus selon les bons et les méchants, mais selon certaines forces bonnes ou mauvaises. (...) Même si l'individu perd son importance, même si l'un se résorbe dans l'autre et qu'il soit impossible de faire la moindre différence entre tous ces gaillards-là ; détachée de son auteur, l'iniquité demeure et c'est l'iniquité seule qui doit s'expier.
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Dans le bruissement des feuilles, on entendait septembre. Ce n'était plus la claire et moelleuse mélodie du feuillage printanier, non plus la sonorité de l'été. En été les arbres bruissent purement et simplement, en quelque sorte sans nuance, tandis que dès les premiers jours de l'automne il s'y mêle une acuité métallique et argentine, comme d'une vaste et indivise musique contrainte de s'effilocher en longs filets.
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L'uniforme, une seconde peau où l'on cache son moi intime.
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