Elle avait cherché l’amour si longtemps qu’il ne lui en restait plus à présent qu’une vieille douleur sourde. Il y avait eu un moment où elle s’était résignée à juste baiser.
- Où aimerais-tu aller si nous allions quelque part ? demanda-t-il ?
- J’en sais rien. Et toi ?
- Tu veux que je te le dise ?
- Ouais, dis-le moi.
Elle tira sur le joint.
- D’accord. J’aimerais prendre la Natchez Trace, aller à Natchez et dormir au Texado. C’est un truc dont j’ai toujours eu envie.
- C’est quoi ?
- Le Texado ? C’est la plus vieille maison du Mississippi. Elle a été construite en 1790 quant tout cet Etat était encore en territoire espagnol.
Au Gigi’s Angel, dans Winchester, le bar était peu éclairé et la clientèle entièrement masculine descendait verre sur verre dans une épaisse fumée. Il y avait beaucoup de chaises vides dans la salle. Sur scène, deux femmes fatiguées, teintes en blondes, nues à part une culotte argentée, le corps plutôt avachi et marqué par les vergetures de la grossesse, évoluaient avec lenteur au rythme de Chris Rea sous un faible éclairage bleuté. Les flammes des bougies disposées le long du miroir du fond et entre les bouteilles vacillaient dès que la porte s’ouvrait. Le marin avait demandé avec nervosité au barman s’il était possible d’avoir une femme, et quand celle-ci émergea de derrière une porte, il vit qu’elle le regardait. Elle lui lança un clin d’œil et il hocha la tête, puis il avala une grande gorgée de bière.
J'ai eu envie de sortir et de regarder les poissons rouges.
- Ah bon ? Et qu'est-ce qu'ils font ?
- Rien. Ils nagent en rond.
A cette époque , la vie était bien plus simple. Moins de choix à faire.
Ce fut tout.L'interphone s'arrêta, mais il y eut un long bourdonnement semblable à une plainte et assez de friture pour qu'ils se disent que peut-être Neil Young était à bord avec sa guitare électrique et sa pédale wah-wah et qu'on allait l'entendre chanter "Mother Earth" dans les haut-parleurs.
Domino savait que la vie se mesure parfois en intervalles qui, bien que minuscules, sont cruciaux. Ainsi, quand on baisse les yeux pendant juste une seconde pour allumer une cigarette alors qu'un véhicule arrive en sens inverse. Ou si on se torche le cul avec le billet de loterie gagnant parce qu'on a pas d'autre papier dans son portefeuille à part des billets de banque. Ou si on est trop pressé de remonter sa braguette et qu'on coince un peu de peau tendre entre les petites dents de laiton et puis qu'on reste là tout seul devant l'urinoir sans pouvoir baisser ou monter la fermeture éclair, qu'on se débat silencieusement en essayant de ne pas hurler.
Et elle avait rompu. Maintenant, chaque fois qu'elle tombait sur lui en patrouille, elle lui faisait un doigt d'honneur, ce qu'il trouvait très désobligeant, surtout s'il était en ville en train d'emmener son papa faire des courses. Mais il pensait qu'elle n'allait pas rester longtemps sans homme. Elle se trouverait quelqu'un. Sans doute un intellectuel, puisqu'elle était elle-même plutôt intellectuelle. Elle aimait regarder des photos et des conneries du même genre.
"Excusez-moi, dit Arthur. Est-ce que vous auriez par hasard des fusils anesthésiants ?
- Non, m'sieur, dit le jeune homme en tournant une page.
- J'ai un animal sauvage à capturer, dit Arthur en se sentant un peu bête d'avoir dit "animal sauvage".
- Si c'est un opossum, vous pouvez appeler la fourrière.
- En fait, il s'agit d'un chat. Assez petit. En réalité, c'est un chaton.
- Les chats, c'est bizarre", dit le jeune homme, toujours sans lever les yeux. Arthur se demanda pourquoi cette histoire de chat devait s'ajouter maintenant à tous ses autres problèmes - celui de ses érections et celui de l'alcoolisme d'Helen. Il se disait qu'un souci à la fois aurait dû suffire.