La matinée avait débuté par la perspective mensongère d'une splendide journée irlandaise.
Vous savez que ça ne durera pas.
Habillez-vous léger et, à tous les coups, vous vous retrouverez trempé jusqu'aux os avant d'avoir dit ouf.
En débouchant sur la Promenade, j'ai contemplé la mer. Chaque fois, cette vue éveille en moi des désirs d'autre chose.
J'étais venu à Saint-Augustin pour faire brûler des cierges en mémoire des récents disparus, de mes anciens chers disparus et, à en juger par la tournure des événements, des prochains.
Leur nouveau système de cierges à allumage automatique me gonfle. C'est Las Vegas sans les danseuses de revue. Je suis un dinosaure, je le sais, et ma date de péremption approche, mais serait-ce trop demander qu'on revienne à la bonne vieille coutume des cierges en cire, qui brûlaient avec une vraie flamme et vous donnaient le sentiment d'un lien avec l'au-delà?
Je l'aimais bien, Emma, elle avait le visage radieux de la nouvelle Irlande. Celui d'une fille qui bosse pour financer ses études, une fille vive, sûre d'elle et qui ne s'en laisse pas conter.
J'ai mis le cap sur ma boutique préférée, celle de saint Vincent de Paul; les femmes qui bossent là-bas m'accueillent toujours comme si j'étais le Messie.
Doux Jésus, le jour où je trouve un verre d'eau parfait, je file me noyer dans le Lough Corrib.
Elle m'a lancé un regard de braise et, croyez-le, je connais mon affaire : aucune femme au monde ne sait exprimer la rage comme une Irlandaise.
De nos jours, tous ces non-nationaux qui officient dans le commerce vous tirent la Guigui comme si c'était une lager de merde.
Pas lui. Ce gars-là connaissait son affaire, il l'a laissée reposer quatre bonnes minutes avant de lui raser le faux col.
Les infos défilaient à l'écran, toutes plus sinistres les unes que les autres : licenciements, gestes désespérés, expulsions, un inceste indicible à moins de trente bornes, arnaques, meurtres en voiture à Dublin devant des petits enfants, une kyrielle de suicides et, pour couronner l'ensemble : les prochaines cérémonies des oscars.
Y'a de quoi sombrer dans l'alcool, pensez pas ?
Tu parles, de nos jours, c'est de l'héroïne pure qu'il faut, pour digérer les infos. (p.92)
En sortant, j’ai lancé à la sentinelle solitaire :
-Dieu vous garde !
Sans décoller les yeux de sa pinte, il m’a répondu :
-Dieu s’est tiré dans un paradis fiscal, comme tous ces pourris d’arnaqueurs…