La sorcière oubliée

Si seules les choses que l'on comprend existaient, comme le monde serait étriqué... (p. 56)

C'est difficile d'accepter ce que tu es, et non ce que tu croyais être, d'accepter un monde qui n'est pas comme tu le pensais. Mais Bea, quand on y pense, est-ce si surprenant que le monde contienne davantage que ce dont on a jamais rêvé ? Tu as déjà réfléchi à ça ? 

Pour les sorciers, tous les esprits sont un dieu en soi, mais pour les chrétiens, les esprits autres qu'humains sont des diable's, des farfadets, des anges déchus - des ennemis de leur dieu unique. Alors les gens se sont mis à dénigrer le second monde. Ils ont aussi commencé à croire que ceux qui communiquaient avec ces esprits étaient l'incarnation du diable. À mesure que l'Église a accru son emprise sur les populations, les sorciers se sont faits de plus en plus discrets. Ceux qui voyaient les esprits ont appris à se taire. L'autre solution, c'était la prison, la torture ou la mort. À son heure de gloire, la Chasse assassinait les sorciers par milliers.

– Votre fille a un don, déclara Odi. Elle est capable de réveiller les esprits du passé.

– De réveiller les esprits ? répéta sa mère d’une voix glaciale. J’imagine que vous voulez parler des morts.

— Regarde avec ton œil de sorcière, lui conseilla Silvis.
Bea se concentra. Elle savait à présent que les choses n'étaient pas toujours ce qu'elles semblaient être. Et tout à coup, elle vit ce qu'il y avait vraiment là.

Des mondes, des mondes et encore des mondes. Une infinité de mondes, certains semblables à celui-ci, d'autres si différents que c'en était inconcevable. Ils s'emboîtaient à la manière de poupées russes — on aurait dit qu'il y avait dans cet œil davantage de mondes que d'étoiles dans le ciel ou d'atomes dans l'univers.

Elle était une sorcière. Pour de vrai. Et tout autour d'elle, des mondes dans des mondes dans des mondes étaient emplis de la vie des esprits, qu'elle était la seule à pouvoir tirer de leur sommeil !

Ils étaient persécutés depuis des millénaires - depuis que les chrétiens avaient voulu imposer en Europe l'idée d'un dieu unique.
- Un dieu jaloux, aussi, déclara Tyra. Ce qui n'a pas de sens pour nous.
Elle prit une nouvelle gorgée de bière en regardant Bea à travers la bouteille, puis continua :
- Pour les sorciers, tous les esprits sont un dieu en soi, mais pour es chrétiens, les esprits autres qu'humains sont des diables, des farfadets, des anges déchus - des ennemis de leur dieu unique.

Si elle partait, elle deviendrait une de ces filles dont on parlait aux informations. Sa famille désespérée pleurerait devant les caméras de télévision en la suppliant de rentrer, ou en demandant à son kidnappeur de de leur faire savoir que leur fille chérie était saine et sauve.

Il y avait chaque jour de nouvelles leçons, mais la tâche la plus importante et la plus difficile restait de perfectionner la magie noire consistant à voler l'esprit des sorciers. Ce n'était ni facile ni agréable. Seulement dans les plus terribles des circonstances, et en raison de la sauvagerie de leurs ennemis, c'était devenu nécessaire. Comme Lars ne cessait de le lui rappeler, ils étaient en guerre. Or, la guerre justifie tous les crimes et destructions. Chaque fois que Bea volait l'esprit d'un sorcier, ce qu'elle faisait souvent, ça la blessait au plus profond d'elle même, mais elle ne s'arrêterait pas.