AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Henri-l-oiseleur


Voilà un petit roman historique consacré à la vie de Christopher Marlowe (1564-1593), dramaturge élisabéthain qui le premier fit de Faust un personnage de théâtre. La lecture de ce livre d'Anthony Burgess procure tant de plaisir qu'on regrette beaucoup sa brièveté, à peine trois cent dix pages, mais cette brièveté est celle de la vie du héros, poète libertin, espion à ses heures et tant d'autres choses, trouvant trop tôt une mort violente. Comme les affiches de théâtre du temps, qui ne laissaient aucun doute sur le genre de la pièce et sur sa fin : tragédie, farce ou comédie, le lecteur sait d'avance le destin fatal du héros.

Burgess n'écrit pas une biographie de Marlowe, à l'oeuvre de qui il consacra sa thèse universitaire. Les renseignements historiques sont maigres, mais leur rareté permet au romancier de déployer son invention et sa fantaisie. D'abord, il fabrique un narrateur acteur de théâtre, et témoin, qu'il va dénicher dans les erreurs d'impression des Folios de Shakespeare. Il donne ensuite libre cours à la verve renaissante de son narrateur, s'amusant à mélanger le réalisme du roman contemporain, avec les discours sentencieux, à peine sérieux, des auteurs du temps. Cet habile tressage de l'archaïsme et de la modernité a un effet plaisant : il dépayse sans lasser, donne à goûter le temps d'Elisabeth sans trop imposer une langue et des pensées anciennes. La culture, les débats theologiques passionnés de l'époque sont rendus sans lourdeur et deviennent amusants.

Le temps de Marlowe est, selon les termes de la célèbre malédiction, "des temps intéressants" : guerres de toute sorte, violences quotidiennes et religion partout, un peu comme aujourd'hui. Notre héros, libertin comme Théophile de Viau, Giordano Bruno ou Molière, philosophe en fumant (on se souviendra de la grande tirade du tabac au début du Don Juan de Molière), écrit des pièces que l'on retient contre lui, et tâche de vivre du mieux qu'il peut, aussi longtemps qu'il peut, malgré les ennemis qu'il se fait. Il ne ressemble guère au tragique et génial Zénon Ligre, l'esprit libre de L'Oeuvre au Noir de Marguerite Yourcenar, ni à l'humble Nathanaël ou à Lazare, héros d'Un homme obscur et d'Une belle matinée. Burgess n'a pas la gravité ni le digne sérieux de la romancière française, ni sans doute son sens du tragique. Il choisit un point de vue extérieur au personnage et ne prétend pas pénétrer dans l'intimité de ses pensées. Il s'amuse et il amuse avec l'effervescence de la Renaissance anglaise, sans prêcher d'ennuyeux messages citoyens à la Rachel Kadish.

Pour finir, tout comme on remercie Masse Critique quand elle donne à lire un livre, que soit remerciée Madame Lama, célèbre Babéliote angliciste, qui sait aiguiser les curiosités et indiquer les bons livres.
Commenter  J’apprécie          162



Ont apprécié cette critique (16)voir plus




{* *}