"Nathanaël regarda l'eau lourde. Depuis que ce canal avait été creusé, on avait dû y jeter bien des choses, des déchets de nourriture, des foetus, des charognes d'animaux, peut-être un ou deux cadavres. Il pensa à ce trou qui était Rien ou Dieu."
Roman bref, récit sec,
Un homme obscur se présente comme une réplique mezza voce de
L'Oeuvre au noir. Après son Zénon enténébré,
Marguerite Yourcenar façonne un Nathanaël bistré, aux contours détrempés. A un siècle d'écart, en Hollande cette fois (le clair-obscur d'un Rembrandt vieil ivoire avec les joues rubicondes d'un Hals), l'auteur dessine le parcours d'un homme sans relief particulier. Les hasards de l'existence le transformeront tour à tour en marin, en correcteur chez un scrupuleux éditeur, en domestique puis en gardien d'îlot et le mèneront de la Jamaïque à l'île des Monts-Déserts, des bras d'une pâle phtisique à ceux d'un Juive rouée.
Cet "homme obscur" aura été jusqu'au bout de lui-même et de ce qu'il lui était accordé d'être : un destin sans flammes, certes, mais digne. L'estime que porte l'écrivain à sa pâle créature nous la fait aimer : Nathanaël laisse glisser un regard lucide sur le monde, hors de toute doctrine, sans jargon ni prêche. Celui d'un honnête homme.
Le style est accompli, le talent probe mais le pouls ne s'emballe guère. Pour un héros si discret, j'aurais aimé une écriture moins limpide.
Une belle matinée -sorte d'apostille à
Un homme obscur-, en augurant une vie d'artiste au jeune Lazare (fils naturel de Nathanaël et, par son prénom, symbole de toutes les victoires sur l'obscurité), se conclut sur une naissance au monde, là où, si souvent chez
Yourcenar, la mort conduit l'attelage.
En effeuillant la Marguerite... Je l'aime, un peu...
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