Citations sur Les filles au lion (239)
Alfonso s'exprimait dans un très bon anglais et Olive distinguait des échos d'Isaac sur le visage de cet homme, mais il y avait chez lui quelque chose de profondément théâtral que son fils ne partageait pas. Néanmoins, en dépit de son côté tape-à-l'oeil, on percevait de l'intelligence dans les petits yeux d'Alfonso, un esprit calculateur et de l'humour noir.
Olive se retourna vers le miroir. Les émeraudes ressemblaient à des feuilles vertes qui brillaient sur sa peau pâle et allaient en s'élargissant vers les clavicules. Des perles du Brésil, vertes comme l'océan, vertes comme la forêt qu'ils trouveraient dans le sud de l'Espagne, avait promis son père. Ce n'étaient pas des pierres précieuses, c'étaient des yeux qui lui faisaient signe dans la lumière des bougies, qui regardaient les filles qui se regardaient.
J'ai un peu l'impression d'être invisible, voilà tout. Il ne me prend jamais au sérieux. Et je ne sais pas comment faire pour l'obliger à me prendre au sérieux. Tout ce qui l'intéresse, ce sont ses affaires, et savoir si ma mère a pris ses médicaments. Et elle non plus n'a jamais pris réellement le temps de me comprendre. Quand j'aurai des enfants, je ne serai pas comme elle. J'aimerais être libérée de mes parents. Et je pourrais me libérer d'eux, je pense, si je le décidais vraiment.
- C'est une très bonne conteuse, dit Olive. Imaginez que vous attendez dans l'obscurité pendant que votre sœur affronte un lion. Imaginez que vous tenez sa tête entre vos mains, et que le reste du corps a disparu. Qu'est-il arrivé à Justa ?
- Le choc l'a tuée, dit Teresa.
- Je serais morte aussi.
- Vous n'en savez rien, señorita, dit Isaac. Vous êtes peut-être très forte.
"Un gros lion, ajouta-t-elle. Un lion affamé. En el anfiteatro. Tout le monde regardait. Mais le lion ne voulait pas se battre. Il s'est assis et n'a plus bougé. Il ne l'a pas touchée.
- Et ensuite ? murmura Olive.
- Ils lui ont coupé la tête.
- Non !
- Et ils l'ont jetée dans le puits, pour qu'elle rejoigne sa sœur."
C'est l'histoire de deux sœurs. Des chrétiennes. Elles vivaient à Séville, à...la época romana ?
- L'époque romaine, oui.
- Elles fabriquaient des pots et des bols. Les Romains voulaient qu'elles donnent des pots pour une fête. Une fête païenne, en l'honneur de Vénus. Mais les sœurs ont répondu : "Non, on ne les donnera pas. Nos pots nous appartiennent. " Et elles ont brisé le masque de la déesse Vénus.
- Mon dieu !
- Elles ont été arrêtées. Ils ont jeté Justa dans un puits. Et Rufina ..ils l'ont obligée à combattre un lion."
- Tu penses que tu y retourneras un jour ?
J'ai hésité. La plupart des Anglais que je rencontrais me posaient des questions sur mon île en s'attendant à ce que toute la complexité de Trinidad s'exprime à travers ma seule personne pour leur satisfaction. Aucun d'eux n'y était jamais allé, nous étions des objets de curiosité à leurs yeux, des entités provenant d'une boîte de Pétri tropicale qui, très récemment encore, se trouvait encore sous un drapeau britannique. La plupart du temps, comme dans le cas de Pamela, cet intérêt des Anglais n'était pas malveillant (quoique ça arrivât parfois), mais leurs questions me donnaient toujours le sentiment d'être différente, alors que j'avais été élevée de manière à comprendre parfaitement les us et coutumes britanniques car j'étais moi aussi une enfant de l'Empire.
- Les gens avaient terriblement peur de ce qui arriverait si Hitler gagnait. A Trinidad, on a une des plus grosses raffineries de pétrole. Des sous-marins allemands torpillaient déjà des navires britanniques au large de nos côtes.
- Je ne savais pas.
- On savait ce que voulait Hitler, son projet de race supérieure. On était prêts à se battre. Mon père n'était pas le seul." J'ai bu une gorgée de cidre. "Au début, l'Angleterre n'était pas trop d'accord pour que les colonies s'en mêlent, mais quand ça a commencé à mal tourner, ils ont bien voulu de notre aide.
Je me suis tue un instant, je repensais à la petite Odelle, avec son canotier et son tablier anglais, expliquant à sa mère qu'il fallait épingler des "feuilles brun roux" sur un collant - ma mère qui ne savait absolument pas à quoi ressemblait le givre sur des brins d'herbe, ce qu'était un marron, ce qu'on éprouvait lorsqu'on inspirait l'air londonien en novembre et qu'on sentait un éclat de glace dans ses poumons - et se démenant pour réaliser ce costume anglais dans l'humidité des Caraïbes.
- Quand j'ai débarqué, je ne pouvais pas croire qu'il faisait aussi froid. " Cela fit rire Lawry. "Je suis sérieuse. C'était comme l'Arctique. Cynth et moi, on est arrivées en janvier.
- Forcément..
- Eh oui. Quand j'étais petite, à l'école, j'ai joué l'Automne dans une pièce de théâtre sur les saisons. Je ne savais même pas ce qu'était l'automne et encore moins l'hiver."