J'allais donc dans cette ville, rongée par l'écoulement du temps et les désordres accumulées, l'incurie des propriétaires et la pauvreté des habitants. Cette ville autrefois noble et qui l'était peut-être encore, avec la lèpre sur ses palais, les façades branlantes ou effondrées, les belles fenêtres aux planches clouées, les portes cochères ouvrant sur des trous. Cette ville déjà noire à cette heure dans certaines rues vouées au silence, à peine coupée d'appels et de cris qui en surgissent soudain.
Mais cette ville corrompue jusqu'au pourrissement de ses murs, cette ville dont j'avais été chassé et où je revenais en fraude, sous un prétexte culturel qui ne pesait pas lourd, je persistais à la trouver belle. Cette ville prostituée, je l'aimais toujours. Je l'aimais comme ces femmes dont on s'est séparé à grands fracas, en fin d'une liaison furieuse pleine de clameurs et d'embrasements, ces femmes dont on se dit qu'elles ne valent rien, que la rupture a valeur de béatitude, ces femmes dont on s'ennuie après qu'elles sont parties.