J'ai les larmes aux yeux. Moi qui n'écoute jamais les informations, aujourd'hui, c'est l'information qui est venue à moi, qui s'est jetée sur mon visage et qui m'a prise aux tripes. Dans mon couple nous sommes ébranlés par la nouvelle comme beaucoup je pense.
Cabu, surtout, je le connais depuis toute petite, à l'époque où il était à la télé avec Dorothée dans les émissions jeunesse. Il m'a suivi dans l'évolution de ma conscience depuis ma plus tendre enfance. Lui faire ça, à lui comme aux autres, c'est tout ce qu'on veut : odieux, abject, liberticide, et trente millions d'autres adjectifs tous plus bas et vils les uns que les autres.
La France avait vraiment bien besoin de ça. Ce soir, mon souvenir saigne, mon coeur saigne, ma liberté saigne, mon rêve de cohésion sociale en bonne intelligence saigne, tout saigne.
Des Musulmans au-dessus de tous soupçons vont encore être stigmatisés et montrés du doigt,
Marine le Pen va gagner vingt points dans les sondages, d'infects crevards vont encore essayer de récupérer l'événement pour nous faire bouffer des couleuvres.
Mais avant tout, ce soir, c'est la liberté d'expression qu'on assassine. Et donc, malheur à nous aussi si un jour nous avons la fâcheuse idée d'écrire ce que les teneurs de kalachnikov ne souhaiteront pas lire.
" Fermez vos gueules ou sinon, une bastos ! " Quelle beauté, quelle sérénité, quelle paix ! Aux trois trous du cul qui se sont crus des hommes à appuyer sur une gâchette face à des innocents désarmés, à tous ceux qui secrètement les soutiennent et/ou les admirent, je ne m'abaisserai même pas à vous cracher au visage verbalement car, jusqu'à preuve du contraire, je ne m'adresse verbalement qu'aux êtres humains.
Or, vous trois et les quelques autres que j'ai dit, vous avez franchi la frontière absolue, vous n'êtes tout simplement pas des hommes dans l'acception générale du terme. Vous avez des bras, un pancréas, trois ou quatre molaires, mais un homme, voyez-vous, c'est plus que ça, c'est autre chose que ça. Être un homme, c'est avant tout une façon de se comporter et aujourd'hui, vous vous êtes comportés comme peu d'animaux s'abaissent à le faire.
Voulez-vous nous faire taire ? Beau projet, grande idée, somptueux programme ! Mais nous avons une autre idée de la France et de la liberté au sens large. J'ose espérer que dix
Cabu, que cinquante Wolinski, que cent
Charb vont relever la tête et empoigner leurs crayons pour vous le signifier.
Aujourd'hui, preuve est faite que NOUS AVONS BESOIN de gens qui s'opposent à la pensée unique, NOUS AVONS BESOIN d'humour et de dérision, NOUS AVONS BESOIN de gens qui abordent des sujets tabous ou qui fâchent.
Ce soir, je pleure. Je pleure la liberté morte, je pleure l'humour et l'esprit de dérision mort, je pleure sur les conséquences probables, je pleure au nom des vrais Musulmans qui sont insultés par cet acte.
Aux plus jeunes d'entre vous, je me revois à votre âge, regardant les dessins de
Cabu, dans un pays où l'on pouvait dire des choses fortes sans se faire tuer. C'était dans un pays où
Reiser a pu mourir de sa " belle " mort, inquiété par les seules terreurs de son cancer. S'il avait encore été parmi nous, nul doute qu'il aurait fait partie de la liste et même en numéro 1.
Aux plus jeunes d'entre vous, donc, j'éprouverais une joie indicible à savoir que l'un ou l'autre parmi vous prendra la courageuse décision de se lancer dans la caricature et de défendre cette belle dame qu'on appelle Liberté D'Expression.
Et à tous ceux qu'on a perdu aujourd'hui, je témoigne mon plus profond respect, vous nous manquez déjà.
P. S. (environ 4 mois après) : en relisant cette contribution que j'avais écrite à chaud, c'est-à-dire dans l'émotion et pas du tout dans la réflexion ni la circonspection, je trouve cet avis très naïf. S'il a quoi que ce soit de touchant, je dirais qu'il est touchant de naïveté. Je ne suis plus certaine que j'écrirais quoi que ce soit de ce genre si la chose devait se reproduire ce soir. Écrire sous l'emprise de l'émotion et sans aucun recul est toujours un exercice très risqué, ou, du moins, très sujet à caution, notamment eu égard à la couverture médiatique partisane d'un événement en cours. Je ne retire pas ce que j'ai écrit, car c'est le reflet d'une émotion brute, mais j'y mets un avertissement, à savoir que ce n'est que le reflet d'une émotion et pas du tout le fruit d'une réflexion. Or, pour moi, n'ont d'intérêt véritable que les pensées issues de la réflexion et non celles issues d'une émotion, quelle que soit l'émotion en question. L'émotion a le pouvoir d'annihiler l'esprit critique or, l'esprit critique est pour moi d'une valeur inestimable. Je n'oublie pas que les médias dominants ont toujours pour but de forger l'opinion et l'opinion exprimée ici est exactement celle que les médias ont voulu forger et pas du tout la mienne propre qui, à ce jour, est tout à fait différente.
« Les gouvernements investissent des sommes considérables dans la propagande qui représente l'interprétation officielle des événements. » —
Stanley Milgram.